Services à proposer

L'homme marchait d'un pas sur à travers les rues encombrées de matelots. Fin, élégant, râcé, Gabriel Evans, ancien fils de commerçant, ne passait pas inaperçu ici. Connu comme le loup blanc, c'était un des mercenaires les plus recherchés de la région. Son renom était considérable, et pourtant, son père n'avait pas encore réussi à remettre la main dessus.

L'argent devenait rare dans sa bourse. Après avoir passé une longue période d'oisiveté chez un de ses nombreux amants, le jeune homme s'était aperçut que sa bourse diminuait considérablement depuis quelques temps. C'était le moment de renflouer les caisses du charmant Gabriel.

Les mains dans les poches, il se dirigea vers les quartiers de la CIO. De nombreuses affiches étaient collées sur les murs. Visiblement, on recherchait de l'équipage. L'homme continua sa progression vers les bureaux de la Compagnie des Indes. Dire qu'au début, il avait servi comme commerçant, et que maintenant, il était mercenaire. Un sourire ironique s'inscrivit sur son visage angélique. Il se souvint d'une citation d'Homère, à propos d'Ulysse, qui disait qu'on pouvait le traiter de voleur, de violeur et d'assassin, mais en aucun cas de commerçant... A ce moment là, Gabriel se sentit comme Ulysse, à la conquête de Troie.

Le mercenaire se présenta alors à un jeune secrétaire, à qui il adressa un large sourire, et de sa voix grave, il lui demanda:

"J'ai vu que la CIO cherchait des hommes.... A t elle besoin de Gabriel Evans, mercenaire? "

Il était sûr de soi... Maître de ses émotions... mais pas maître de sa bourse...

Le secrétaire rougit en entendant la voix sensuelle du jeune homme qui venait de se présenter et baissa les yeux. Il fallait croire que Sainte-Marie était le lieu de convergence de tous ces jeunes gens trop beaux pour leur propre sécurité, et qui, histoire de menacer encore plus leur sécurité, mais celle de leur âme en l'occurrence, osaient préférer les gens de leur propre sexe...

"Heu... Je pense que la CIO a toujours besoin de bras supplémentaires, mais vous devriez vous adresser à monsieur de Saint-Caast, c'est lui le Receveur de la CIO à Madagascar". Le commis s'éloigna un bref instant et revint accompagné d'Anne-Pierre. Celui-ci examina le dénommé Gabriel Evans avec un regard expert. Beau visage mais regard déterminé, voire même assaisonné d'une pointe de cynisme et d'effronterie. Il serait parfait pour la CIO.

"J'ai entendu parler de vous, Monsieur Evans" dit-il au jeune homme avec son habituelle voix froide. "Qui eût cru qu'un... mercenaire de votre talent aurait un jour besoin de s'adresser au comptoir malgache de notre gracieux souverain? On m'a rapporté que vous cherchiez du travail, mais que proposez-vous, au juste?"

Révérence polie oblige. Le jeune homme courba l'échine devant le receveur. Puis, se redressant un sourire effronté sur le visage, il se permit de répondre à son futur employeur:

"Les temps sont durs Monsieur de Saint Caast, et aux dernières nouvelles, les coffres aux trésors ne tombent pas du Ciel."

Il leva les yeux au ciel, et sourit; puis, se reprenant, il continua, défendant un curiculum vitae reconnu par de nombreux pairs:

"Je viens vous proposer mon bras armé... Ma réputation de fine lame me précède généralement, mais je serais ravi de vous en faire une démonstration si vous le désirez. Je suis prêt à toute sorte de travail, que ce soit en tant que matelot, ou bien que garde du corps... La seule chose qui m'interesse pour les prochains mois, c'est la monnaie sonnante et trébuchante qui remplira ma bourse et ma panse... "

Sa voix était calme, poli. Il s'exprimait avec franchise, la louant toujours comme la meilleure des vertus, bien que celle ci lui valut de nombreux déboires à une époque de sa vie... Il ajouta:

"J'ai préféré m'adresser à vous en premier, vous réservant l'exclusivité de mes services... Sinon, je peux toujours aller voir ailleurs..."

C'est vrai, il avait toujours d'autres possibilités...

Saint-Caast était très favorablement impressionné par la mise et le comportement de son interlocuteur. Il serait bon d'avoir un tel homme dans ses rangs, surtout parce qu'il serait très mauvais de l'avoir dans les rangs ennemis... Truchot allait être content, son équipage pourrait s'étoffer. Mais un doute subsistait dans l'esprit d'Anne-Pierre.

"Vous avez bien fait de vous adresser à la CIO, Monsieur. Un de mes capitaines recherche un équipage. Apparemment, vous savez davantage vous servir de votre épée que d'un épissoir, mais le Capitaine Truchot recherche autant des soldats que des marins. Nous sommes à la recherche du pirate Astarloa, dont vous avez sûrement entendu parler vu qu'il a coulé au cours de ces 6 derniers mois autant de navires autour de Madagascar que tous les pirates de l'Océan Indien au cours de ces 2 dernières années.
Mais vous me permettrez de vous poser une question que j'estime primordiale... En tant que mercenaire, vous êtes prêt à vous vendre au plus offrant. Vous m'avez vous-même signifié que vous étiez prêt à proposer vos services ailleurs. Ne vous fâchez pas si je vous avoue que je me demande si vous serez loyal à la compagnie une fois embauché par elle... Nous vous paierons le prix qu'il faudra, évidemment, mais sachez que les coffres de la CIO ne sont pas franchement pleins du fait de l'activité d'Astarloa. J'ai besoin de l'assurance que vous ne nous ferez pas faux bond au moment crucial. Vous comprenez mon embarras?"

Gabriel comprenait tout à fait le doute qu'il pouvait subsister sur son compte... Bon, il est vrai qu'il avait été quelques temps dans les rangs d'Astarloa, mais ça, il se garda bien de le revéler. Il était peut être mercenaire, mais il n'était pas assez fou pour se vanter de ses exploits en se pendant au bout d'une corde.

Le jeune homme baissa la tête, en signe de compréhension, et répondit alors à son interlocuteur:

"Il est vrai messire, que cette question en tarauderait plus d'un. Mais, je suis fortement attaché à la Compagnie des Indes depuis mon plus jeune âge. Je me suis peut être exilé, mais je n'ai pas oublié mes origines et la couronne pour autant. "

Il s'accroupit alors, un genou à terre, en signe d'allégeance et de respect:

"Monsieur de Saint Caast, je jure fidélité à la Compagnie des Indes"

*Tant qu'on me paye*

Un sourire ironique se dessina sur les lèvres de l'officier du roi, qui se mordit la langue pour ne pas éclater de rire.

"Je n'en demandais pas tant. Relevez-vous, Monsieur, je ne suis pas le roi et le temps des chevaliers de la Table Ronde est plus que révolu... Vous me voyez toutefois ravi de votre engagement à nos côtés. Au nom du roi et de M. de Colbert, je vous prends au service de la Compagnie des Indes Orientales. Veuillez signer ce contrat, je vous prie."

Saint-Caast prit des mains de son commis un contrat en bonne et due forme et le tendit à un Gabriel Evans un peu étonné. A quel moment il l'avait fait rédiger, mystère. Les rouages de la CIO semblaient bien huilés, et les commis connaissaient manifestement leur affaire.

Tandis qu'Evans inspectait le document, Saint-Caast poursuivit.
"Je crois que l'équipage de Yorick O'Brien est au complet mais il me semble que le capitaine Truchot cherche encore des hommes d'équipage. Vous devriez vous rendre sur le port et lui proposer directement vos services. Vous avez dû apercevoir en entrant les avis de recherche déposés pour les pirates Karim Astarloa et Selena Amorio. Au besoin, remettez-les vous en tête: le meilleur moyen de prouver votre loyauté à la CIO est de nous aider à les mettre hors d'état de nuire.
Si vous avez un problème ou une réclamation, c'est à moi ou à mon premier commis que vous devrez vous adresser. Venez également me faire part de ce vous pourriez découvrir sur les pirates en traînant en ville, on ne sait jamais..."

Le jeune homme lut rapidement le papier. Visiblement, il n'y avait aucune embrouille. Tout semblait en ordre. Mais ce qui l'étonna le plus, c'est la rapidité déconcertante de la rédaction du contrat. Gabriel sourit. Ici, ils devaient avoir de nombreux contrats pré remplis, quii empêchaient toute indécision, et toute réflexion momentanée.

Il emprunta une plume, trempa le bout dans une belle encre noire et griffonna sur le papier une élégante signature. Quand il releva les yeux, il put apercevoir le sourire satisfait de Saint Caast..; Il lui demanda alors, plus pour la forme qu'autre chose:

"Le Capitaine Truchot... N'est ce pas celui dont le fils trafique avec les pirates? "

Oui, il semblait que ce soit lui, vu la tête de son interlocuteur et de son premier commis. Bon, mieux valait ne pas s'attarder dans les quartiers de la CIO... Il ajouta alors:

" Je vous servirais avec joie d'espion Monsieur de Saint Caast... Les pirates, c'est mon domaine..."

Sur ce, il fit une lègére révérence, et se releva en lançant une charmante oeillade au premier commis, qui se mit à rougir violemment... Puis, il s'éloigna tranquillement, le coeur léger, et la soif d'aventure lui trottant dans la tête...

[===> Le port/ Domaine de la CIO]