Chassé croisé

[Suite du topic de l'île du cancer ( https://yebewarned.1fr1.net/Territoire-neutre-c7/L-ile-du-Cancer-f35/De-la-bagarre-a-la-taverne-archi-libre-p290.htm#290 ), course pousuite entre l'Aïcha et le Joli Rouge]

Karim avait cédé au confort de l'inconscience, vaincu par la douleur. Lorsqu'il ouvrit les yeux, la première chose qu'il vit fut le regard inquiet et fixe d'Alucard, qui l'observait comme un médecin observe un patient sur le point de trépasser. Remuant vaguement le bras droit, et sentant qu'on lui avait changé son pansement, il poussa un soupir qui ressemblait davantage à un grognement.

"Je t'entends, mon gars... Merci d'avoir colmaté la brèche." Souffla-t-il, en retombant sur l'oreiller. Il se sentait vaseux, vaguement nauséeux, et il aurait bien rendu son flacon de rhum, là, maintenant, tout de suite...

Surmontant son malaise passager ( il n'allait pas vomir devant son second, ah ça, non ! ), il désigna la porte de la main gauche.

"Les ordres sont-ils transmis ? Que leur as-tu dis de faire, de ton côté ? Car tu es leur vice-capitaine, c'était à toi de prendre le relais pendant je roupillais dans mon coin... Et je ne doute pas que tu ais pris la bonne initiative."
Il songea un instant à se redresser, mais la sensation de sa plaie à vif l'en dissuada. Santa Puta, qu'il détestait être ainsi cloué au lit ! Que n'aurait-il pas donné pour aller surveiller lui-même le Joli Rouge, là bas, sur le pont ?

"On doit approcher de la Passe Maudite... et de la tempête aussi. Il faut réduire la voilure et s'engager directement. C'est au coeur de l'ouragan que nous serons les plus discrets..."

Il tendit la main vers sa table de chevet, mû par un vieux réflexe, et sourit lorsque sa main recontra l'habituel flacon. Il s'en empara, le porta à ses lèvres, et... recracha le tout.

"De l'eau ??! Sacrebleu, qu'est-ce ça veut dire ?" S'exclama-t-il en secouant la bouteille, comme il l'eût fait d'un matelot récalcitrant.

"Vous devriez boire un peu moins d'alcool pour le moment. La balle que vous avez prise, c'est pas n'importe quoi. Avec le garrot que vous vous êtes faits, si je l'avait laissé, vous vous seriez empoisonné au moment même où vous l'auriez retiré. Vous avez du plomb dans le sang, maintenant. Alors je vous fait boire de l'eau pour évacuer tout ça."

Alucard était allé chercher une serviette et épongeant tranquillement l'eau que son capitaine avait recrachée. Il lui en ferait boire, de gré ou de force. Mais en attendant, il y avait plus urgent. S'asseyant à côté de Karim, il vérifia qu'il n'avait toujours pas de fièvre.

"Le Joli Rouge est devant nous. J'ai ordonné qu'on le surveille. Par contre, votre manoeuvre ne sert a rien. Ils ont déjà sûrement repéré notre direction. On continue quand même? Par contre, pour l'eau, je vous en ferais boire et pas la peine de discuter!"

Alucard prit une gorgée d'eau et alla embrasser son capitaine, le forçant ainsi à avaler le liquide. Qui sait, peut-être que comme ça, il voudrait bien?

Le Joli Rouge se trouvait en avant de l'Aïcha et avait bien du mal à tenir à la fois son bord et sa distance entre eux deux. Depuis sa cabine, Khenti dirigeait le bâteau avec autant de voix que si elle avait été à l'extérieur. Le quartier maître n'en pouvait plus et finit par sortir en disant qu'il allait chercher le second, Mary Swan, qui devait déjà être bien occupée pourtant.

Sur son lit, Khenti souffrait en silence, serrait les dents, mais la force de sa douleur se transmettait à ses hommes par le ton de sa voix. Malgré les recommandations du chirurgien qui avait suturé la plaie et empêché l'hémoragie, elle appuyait sur la plaie, comme si la pression réduisait la douleur.

Au roulis du bâteau s'ajouta bientôt celui de la tempête qui se levait, comme ils approchaient de la passe maudite. Un peu fiévreuse, Khenti répétait ses ordres avec obsession.

"Qu'on ne les perde pas de vue ! Un demi mile ! En zig et en zag ! Astarloa, je t'aurai, pirate pervers !... quoique pirate signifie pareil que pervers... je t'aurai, aha !"

Puis elle cria comme une vague soulevait l'avant du navire et surprenait tout l'équipage par sa violence. L'unique chandelle du bureau tomba sur les draps du lit et un minuscule incendie se déclara. Khenti versa la carafe d'eau sur la catastriphe en devenir qui s'éteignit immédiatement.

"Lumière, bordel ! Lumière ! Et je veux voir Mary, je sais qu'elle au moins me fera un rapport satisfaisant... et du rhum ! Je veux du rhum ! Bordel à cul, j'ai mal à mon bras. Chirurgien, y a un point qui a sauté !"

"Si vous ne vous agitiez pas autant, aussi..." maugréa-t-il en déballant à nouveau ses instruments.

"C'est la faute à la tempête, mon bras s'est pris dans le drap..."

"Je vais rajouter des bandages, alors."

Sa blessure saignait à nouveau, le chirurgien lui ordonna de s'asseoir et de ne plus bouger du tout ou il l'amputait sans savoir si elle allait guérir ou pas. L'argument acheva de convaincre Khenti qui leva des yeux plein d'espoirs vers la porte quand celle-ci s'ouvrit, espérant que ce fut Mary.

"Ah non, hein, pas de flotte, même pour un baiser !! t'approche pas, espèce de..."

Il ne put dire un mot de plus, Alucard l'avait agrippé par le coup et l'abreuvait par palot interposé. Karim grogna un peu, pour la forme, mais se laissa faire. Après tout, un baiser avec son second était une charmante consolation. C'est qu'il avait toujours mal, lui !

Malheureusement, l'instant était trop grave pour qu'il se permette de se laisser aller. Repoussant doucement Alucard, il lui prit la bouteille d'eau des mains, et but une gorgée ( en faisant la grimace certes ) comme pour lui prouver sa bonne volonté.

"Allez, je vais le boire, ton jus de nuage ! File sur le pont, toi, et dis aux autres de laisser tomber la danse classique : qu'ils filent tout droit au coeur de la tempête, juste entre les deux rochers. Il y a tout juste assez de place pour une frégate comme la nôtre, et le sloop de Narish n'aura pas de mal à s'y faufiler à notre suite... Mais encore faut-il qu'il y arrive : il est beaucoup plus léger que nous, donc pratiquement immanoeuvrable dans la tempête. Si elle s'aventure derrière nous, elle en payera les conséquences... Il faut que l'Aïcha s'engage et traverse le dédale de pierre le plus vite possible !"

"A vos ordres, capitaine!"

Alucard sourit avant de détaler comme un lapin, ne tenant pas à se faire rabrouer par Karim. Immédiatement, il alla transmettre les ordres qu'on lui avait donné. Au départ, on ne voulut pas l'écouter, mais il finit par les convaincre que le Joli Rouge était bel et bien devant eux. Et donc qu'il fallait exécuter les ordres du capitaine. Après s'être assuré qu'on obéirait bel et bien, il alla consulter les hommes qu'il avait envoyé surveiller leurs arrières. Selon eux, il n'y avait pas la moindre ombre de bateau. Tenant à en avoir le coeur net, il fila à l'avant. Eux, ils avaient des doutes. Si il y avait un bateau, il devait être tout feux éteints. Alucard retourna donc auprès du capitaine, pour l'avertir que les ordres avaient été donnés.

"Ca a été dur de les convaincre, mais les ordres sont respectés. J'espère que tout va bien se passer, je serais content quand ça sera fini. Voulez-vous que je reste avec eux pour voir s'ils n'ont pas de problèmes? Ou préférez vous que je restes ici et aille voir de temps en temps?"

"Oh Saigneur, saignez-moi ! Mary, tu es un ange tombé du ciel. Merci pour le rhum ! Ca anihile la douleur, ça fait du bien, raaah !"

Le bras bandé, Khenti se leva et sa démarche peu assurée ajoutée au très fort roulis du navire faisait qu'elle marchait aussi droit qu'en temps normal. L'un et l'autre se compensaient. Khenti écouta le rapport de Mary sans l'interrompre.

Une nouvelle rasade et la bouteille était vide. Khenti répondit à son second :

"Non, on ne charge pas les canons. Par ce temps, ça ne servira à rien : le rythme des vagues est trop incertain, le vent trop fort. Les boulets seront déviés de leur trajectoire, en plus le navire est très léger, à faible tirant d'eau, mieux vaut ne se décharger de rien. Pas même un petit boulet... Contentons-nous de les suivre de loin, sans laisser percer la moindre lueur de nos fenêtres. Par contre, ta décision de rentrer les petites voiles est excellente. Elles sont précieuses pour nos manoeuvres par temps clair. Dis au pilote d'aller tout droit vers la passe. Si jamais ça sens trop le roussis pour nous, on fera demi-tour."

Khenti eut de la peine pour Mary qui était trempée, subissait sa voix sèche et sa mauvaise humeur sans sourciller. En outre, elle affrontaitla tempête comme n'importe lequel des autres marins, avec courage, flegme et audace. Khenti l'en félicita à mi voix, puis s'excusa pour son humeur aussi orageuse que le temps. Puis elle ajouta :

"Quand tu auras donné ces ordres au pilote, reviens dans la cabine, tu es trempée, je ne tiens pas à perdre mon second à cause d'un rhume, ou parce qu'il est passé par dessus bord. Et puis je t'aime bien et j'ai besoin de compagnie autre que celle du rhum."

Khenti lui sourit aimablement puis se rassit sur son lit, la douleur à son bras revenant peu à peu.

"Fais les deux, mon gars : aller, retour, station des deux côtés. J'ai besoin de toi pour transmettre mes ordres et me faire un rapport détaillé de ce qui se passe sur le pont. Bon Dieu de bon dieu, je suis sûr d'être capable de tenir debout, en plus !"

L'Aïcha venait, non sans mal, de s'engager dans cet immense dédale de pierre noir et putride, plus meurtrier que l'idée de Dieu sur terre, et qui hantait les cauchemars de tous les marins de l'Hemisphère Sud. Fort heureusement, le pilote de Karim était une jeune femme très douée, très fine, capable de diriger la frégate au demi-mètre près. L'Aïcha, cette danseuse des mers, franchit l'entrée de la passe sans même en effleurer les bords.
Malgré la tempête, et le Joli Rouge qui les poursuivait toujours, les marins d'Astarloa poussèrent un cri de joie unanime, qui retentit jusque dans la cabine du capitaine.

"Yo ho ho, et une bouteille de rhum ! On est passés, gamin !" S'exclama-t-il en se redressant dans son lit, et en faisant un mouvement pour attraper Alucard par le cou et lui planter un baiser sonore sur la joue.

Karim but une nouvelle gorgée d'eau, grimaça non moins consciencieusement que la première fois, et fit quelques pas jusqu'à la porte, pour hurler ses ordres lui-même :

"Un navire rempli de corsaires puants nous poursuit ! Ils sont plus fins, mais plus fragiles que nous ! Continuez droit devant matelots, évitez les rochers, mais ne fuyez pas l'ouragan ! C'est lui qui nous protège ! Ne déployez pas plus de voilure que nécéssaire, arrimez solidement les canons et les réserves de souffre dans la cale ! On leur échappera !"

Une vague plus haute et plus cruelle que les autres s'abattit sur l'avant du navire, faisant trébucher tous les hommes debouts, mais cela ne les empêcha pas de hurler "Viva Astarloa !" à pleins poumons. Karim sourit. La vague l'avait jeté droit contre le chambranle de la porte de sa cabine, cognant son bras blessé de plein fouet.
Il n'eût même pas le temps de jurer qu'il s'évanouissait déjà...

Alucard avait réprimé un cri de terreur en voyant le capitaine valser contre le chambranle de la porte, y heurtant son bras de plein fouet. Heureusement, il s'était immédiatement avancé et avait pu rattraper l'homme qui s'effondrait, évanoui. Le soulevant tant bien que mal, il alla le redéposer sur le lit, vérifiant encore une fois qu'il n'avait pas de fièvre. Non, toujours pas. Serais-ce la douleur, alors? Avec un soupir, il déposa une bouteille de rhum près de lui, le quittant à regrets pour aller voir ce qu'il se passait sur le pont.

A sa grande surprise, plusieurs matelots l'interrogèrent sur l'état du capitaine. Ce à quoi il répondit que si le capitaine ne faisait pas le fou et l'écoutait un peu, il n'y aurait aucun problème quant à son prompt rétablissement. Tout semblait bien se passer, si ce n'était que les "gardes" avaient un peu de mal à tenir en place sous les vagues. Alors, il leur conseilla d'aider les autres mais de jeter un coup d'oeil de temps à autre.

"Allez, courage messieurs! On les auras, ces corsaires!"

Puis, après ces quelques mots, il retourna aux côtés du capitaine, guettant son réveil.

Mary n'était plus qu'un corps entouré d'un tas de vêtements trempés. Elle faisait peine à voir, mais les formes que l'eau laissait entrevoir firent frémir Khenti. En outre, le tissus était blanc et devenait transparent comme il était mouillé. Ah, si Khenti n'avait pas été blessée...

Mary posa une question qui devait brûler ses lèvres depuis longtemps, et Khenti tâcha d'y répondre du mieux qu'elle put en contemplant le joli corps exposé. D'ailleurs, elle reporta son attention sur la bouteille de rhum que tenait Mary afin d'avoir un discours plus cohérent (ce qu'elle avait déjà englouti de rhum et la tempête n'aidant pas vraiment sa fièvre...) :

"Il s'appelle Karim Astarloa. C'est est un pirate, et ça suffit à faire de lui un homme bon pour la pendaison. Tout le monde sait que, lorsqu'on devient pirate, on quitte tout honneur, on perd le droit de mourir en être humain. On est pendu à un arbre comme un vulgaire... un vulgaire. Mais en plus, il a un second qui s'appelle Truchot et qui est un déserteur de la Compagnie des Indes. Alors... c'est une double bonne raison pour foutre la fessée à tout l'équipage de l'Aïcha."

Khenti eut un sourire désabusé et tendit sa main vers la bouteille de rhum qu'elle saisit. Elle ajouta à l'égard de Mary :

"Tu devrais changer tes vêtements. Non seulement l'équipage risque d'avoir des idées pas très catholiques, moi comprise, mais en plus tu vas attraper froid. Il y a des chemises propres dans le coffre sous la table. Prends-en une en cas..."

La capitaine allait lui demander comment se déroulait la poursuite quand ce fut une bourrasque humaine qui entra en tempêtant dans la cabine. Nathaël lui arracha son rhum des mains, Khenti tendit les bras vers son trésor pour le récupérer, mais en vain.

"Hééé ! Mon rhum ! J'en ai besoin !"

Nathaël le somma de s'arrêter de boire, en la provoquant sur le fait qu'elle n'allait pas tenir debout lors de l'abordage. Khenti sut qu'il parlait d'or, mais cela ne l'empêcha pas de répondre avec une certaine amertume :

"Tu as raison, l'alcool n'est pas bon pour les malades... mais bordel, j'ai mal, ça me faisait un peu oublier... quand à l'autre navire, comment veux-tu l'aborder par ce temps ? On a traversé le début de la passe par miracle, si on s'écrase pas contre les rochers, on sera heureux, alors aborder ici... impossible. Le but est de les poursuivre jusqu'à ce qu'ils posent pied à terre."

Puis elle se rendit compte que Nathael venait de lui annoncer qu'un de ses hommes était passé par dessus bord. Elle espérait que ce ne fût personne de cher à son coeur ou d'important et sourit tristement au corsaire.

"Je me comporte comme une pochtronne, quand je souffre, mais merci à vous deux. J'compte sur vous pour qu'on ne lâche pas ce Astarloa d'une seule semelle. Quelle enflure, çui là..."

C'était le roulis qui avait précipité Karim dans les affres de l'inconscience, et ce fut encore lui qui l'en tira : un pan de falaise écroulé, un mouvement de gouvernail sec du pilote pour l'éviter, et une vague soulevant arrière du navire juste au même moment... Les paupières d'Astarloa avaient à peine frémi que l'Aïcha tangua violemment, le précipitant au bas de son lit dans un grand fracas de verre brisé et de jurons exotiques.

"SA PUTA MADRE !!! DIOS ES UN HIJO DE PERRA !!! VERDOMME !! HOLY SHIT !! BORDEL DE MAGRET DE CANARD, ALUCARD, AMENE TES FESSES !!"

Il se redressa, meuglant telle la génisse sous le couteau du boucher. Tant bien que mal, il se remit debout et regagna son lit, sacrant à tous les diables et menaçant d'emasculation tous les dieux de la mer.

Ils s'était faufilés au coeur de la passe maudite, au prix de quelques eraflures sur la coque, d'une ou deux voiles déchirés, et d'un éperon arraché... Mais ils étaient passés ! Jamais le Joli Rouge ne pourrait les suivre là où ils étaient, et Karim -par Alucard interposé- ordonna à ses hommes de franchir le dédale le plus vite possible, afin de se retrouver de l'autre côté et de filer au large, avant même que Narish et les siens aient seulement pu engager leur fragile coque de noix dans le cimetierre de pierre...

La moindre des choses que l'on puisse dire, c'était que tout l'équipage avait entendu le capitaine beugler. Et que tous avaient eut une moue de compassion pour le second a l'entente de la dernier partie du joli chapelet de jurons. Se doutant bien que Karim avait dut casser son "biberon", il alla lui en chercher un autre. En un rien de temps, il fut donc devant son capitaine, pour repartir aussitôt donner des ordres à l'équipage. Une fois les ordres transmis, il passa par la réserve pour ramener une bouteille de rhum au capitaine, venant s'asseoir à côté de lui pour la lui donner.

"Vous allez bien? Vous nous avez tous fait peur, à crier comme ça!"

Et, mentalement cependant, il ajouta qu'il avait eut peur de se faire étriper s'il n'arrivait pas dans la seconde même. Heureusement, Karim n'avait tout de même pas tellement l'air de mauvaise humeur. Quoique cela puisse encore rapidement changer...

Si la capitaine du Joli Rouge était douée en cascades, le navire ne l'était pas. A cause des vagues qui étaient toujours plus hautes, il avait bien failli éxécuter un salto arrière, absolument pas contrôlé. Khenti avait entendu plusieurs cris de marins tombés à l'eau, elle espérait pour eux qu'ils trépasseraient vite et sans douleur. Il n'y avait pas âme qui vive autour de la Passe Maudite, et beaucoup de trop de requins pour mourir tranquillement.

A l'évocation du nom du mousse, Khenti haussa les épaules. Elle justifia son absence de réaction par le fait que le quartier maître devait avoir engagé le jeune mousse sans le présenter à la capitaine. Khenti ne le connaissait donc pas.

Mary lui avait demandé si elle avait confiance en son pilote... bien sûr que oui, sauf si le pilote était tombé à l'eau. Une vague plus forte que les autres faillit envoyer le navire par le fond : Khenti attérit presque sur le mur gauche avant de se cogner contre le bureau et de retomber sur le sol. La déferlante les avait surpris de côté, par tribord, et avait failli les renverser. Il n'y avait comme dégât que la bouteille de rhum brisée. Mary allait bien elle aussi, quoiqu'un peu sonnée. Khenti espérait que Nathël soit sain et sauf à l'extérieur. A l'intérieur, heureusement que les meubles étaient cloués au sol et la cabine bien rangée, sinon...

Khenti écoutait les gémissement de son navire et les cris des marins au dehors. Est-ce qu'Astarloa méritait un tel sacrifice ?

Un craquement sec retentit, un gémissement de bois qui ployait sous la pression et s'arrachait en hurlant désespérément. Un silence morbide précéda la chute du mât de beaupré contre la coque, tout à l'avant. S'ils l'avaient entendu jusqu'ici, les dégâts devaient être importants. L'accident était fréquent dans la Passe Maudite : des pans entiers de falaise s'écroûlaient, et les rochers provoquaient de gros dégâts sur les navires. La passe était étroite, les éboulements imprévisibles. Si un navire pouvait supporter un assaut de ce genre, il ne pouvait aucunement survivre à un deuxième.

L'équation était aussi simple que sa solution.

"Demi tour immédiatement !" hurla Khenti, hors d'elle, prête à redresser le mât de beaupré avec la seule force de ses bras blessés, s'il le fallait. "On va pas s'envoyer par le fond pour les beaux yeux de cet enfoiré d'Astarloa. Demi tour !"

A cet endroit, la passe était encore tout juste assez large pour qu'ils puissent se permettre de faire machine arrière. La manoeuvre était risquée, mais moins que de s'engager...

"Non, je ne vais pas bien !"

Karim avait réussi tant bien que mal à se remettre sur le lit. Il suait à grosses gouttes, plus pâle qu'un mort, la ain crispée sur sa blessure, qui en ce moment lui faisait souffrir le martyr, malgré ses imprécations plus comiques que tragiques.

"Je vous ai tous fait peur ? Tant mieux, ça durcit les nerfs !"

Alucard lui tendit une nouvelle bouteille, qu'il avait visiblement ramenée de la réserve. Karim lui jeta un regard fatigué, mais reconnaissant, saisit le divin contenant, le déboucha d'un coup de dents, et but la plus longue rasade de sa carrière.

"Merci, gamin, ça fait du bien... Quelles nouvelles, dehors ?"

A peine avaient-ils prononcé ces mots que Juan, le mousse, entra en coup de vent dans la cabine, trempé comme une soupe, et hurlant comme trente-six diables dans un bénitier :

"Ils ne sont pas entrés dans la passe, capitaine ! La vigie nous a dit que les corsaires avaient fait demi-tour ! Ils n'ont pas réussi à nous suivre ! On est sauvés !"

Karim sourit aux deux marmots ( car oui, par certains côtés de caractère, Alucard était toujours un marmot ) et leva sa bouteille déjà à moitié vide.

"Que vous avais-je dit, garçons ? Bravo à tous ! Maintenez la position encore quelques temps ( on ne sait jamais ), puis sortez de ce cimetierre maudit et gagnez au large. Qu'on mette le plus de distance entre nous et ces putassons du Pouvoir !"

Alucard s'apprêtait à répondre à la question de son capitaine quand Juan fit irruption dans la cabine, trempé comme s'il avait été nager. N'ayant plus besoin de répondre, il se contenta de soupirer de soulagement, un léger sourire aux lèvres. Ah, il allait enfin pouvoir s'occuper correctement de Karim!

"Capitaine, avez-vous des ordres à transmettre pour plus tard? Vous devriez essayer de dormir un peu. Parce que vous avez beau anesthésier la douleur avec votre alcool, ça ne fera pas guérir la blessure. Enfin bon, faites comme vous voulez, ça n'est jamais qu'un conseil."

Le jeune homme eut une petite moue mi-sévère, mi-désolée, les mains sur les hanches. Il ne pouvait tout de même pas lui interdire l'alcool! Pourtant, ça n'était pas l'envie qui lui en manquait. Parce que bon... Il ferait bien d'arrêter quand même.

"Quel cap devons-nous prendre une fois au large? Une île précise?"

A peine Mary fut-elle partie dans la tempête que Nathaël vint la remplacer pour surveiller Khenti. La corsaire grogna et fronça les sourcils, surtout quand il lui fit grâce de son petit discours moralisateur. Oh, il avait raison, mais elle était une tête de mule doublée d'une femme têtue... elle répondit calmement et avec un sourire - un peu forcé à cause de la douleur qui lui coupait la respiration :

"Oui, nous faisons demi-tour. Le vent est trop fort, je ne tiens pas à manquer de sacrifier à chaque vague mon navire et mon équipage pour un pirate que je ne suis pas sûre d'attraper. On va se fracasser contre les rochers noirs si ça continue ! Nous sommes déjà touchés, je ne tiens pas à ce que nous coulions."

Percevant dans la voix de Nathaël les regrets d'un combattant déçu, à qui l'on ôtait de sa portée le pirate à tuer, elle rajouta :

"Mais ne t'inquiète pas, la mer est grande mais on n'y est vraiment cachés que si l'on y meurt. On retrouvera Astarloa, et on lui fera bouffer la grande voile de son Aïcha !"

Le pilote amorça une très bonne et difficile manoeuvre, évitant ainsi de justesse les rochers noirs. Les hommes avaient perdu leur motivations, et Mary les encouragea en criant. Mais rien n'y faisait. En tout cas, il fallait se débrouiller pour sortir de la tempête. Les pirates? Ils les rattraperaient plus tard.

Elle attacha sa ceinture à la barre, pour être sure de ne pas couler comme une pierre, et aida le pilote à diriger le navire. Sa chemise sèche était de nouveau trempée. Le vent se calmait un peu, mais les voiles n'étaient pas assez tendues. Un des mâts était tombé, et les matelots, bien qu'ils soient des hommes aguerris étaient encore secoués des derniers évenements.

Ils sortirent enfin des rochers, et arrivèrent à une partie beaucoup plus calme. La tempête était terminée.

La jeune fille se détacha. Ses longs cheveux dégoulinaient sur ses épaules et sa chemise mouillée montrait les formes appétissantes de son corps d'adolescente. La pluie avait cessée et la gamine était épuisée. Elle rentra dans la cabine de Khenti, tremblante de tout son corps. Les bras croisés sur sa poitrine, elle sourit à Nathael, le remerciant d'avoir surveillé son Capitaine, et s'adressa à cette dernière:

"Nous nous en sommes sortis... Les pirates nous ont échappés mais ce n'est que partie remise. Néanmoins, nous avons cinq marins portés disparus... et ... ATCHAAAA"

Elle avait attrappé froid... Pourvu qu'elle n'ait pas de fièvre...

(note : on attendait plus que toi. Ce n'est pas grave. ^^ Alucard et Karim peuvent poster en prenant la fuite, j'ajoute un dernier post disant que l'on fait demi tour, et on créée un topic où l'on doit les capturer, avec une méga bataille, hinhin ^^)