Et moi je te dis qu'on s'est perdus .

[ Edit : il y a maintenant un scénario à ce topic, si j'vous jure et un balèze même ! donc topic avec Luis et Suly ^^ ]

Un jour, le brouillard se lèverait . En priant beaucoup, vraiment beaucoup . Eh bien en attendant il s'agissait de survivre jusqu'à ce jour béni et de trouver de l'eau douce pour commencer . Bien sûr, il y a des gens qui survivent à base de tafia exclusivement mais ce sont des surhommes et d'autre part même si il avait pu le capitaine O'Brien n'aurait eu aucune envie de leur ressembler !

L'ancre fut amarré au hasard et une chaloupe descendit à terre, avec à son bord ledit capitaine, qui avait profité que son second avait le dos tourné, soucieux qu'il était de pouvoir promener quelque peu son chien hors de portée d'une certaine lanceuse de scalpels apparemment fort inspirée par l'ambiance brumeuse . Il n'y voyait pas à une mètre devant lui mais l'air ouaté et silencieux était assez reposant après plusieurs semaines sur un navire ponctué de coups de sifflets stridents et du vacarme des manoeuvres .

Le capitaine fit quelques pas, se retourna, et s'aperçut qu'il ne voyait plus la rive .

''Pas grave,'' pensa-t-il à haute voix en repartant sur ses pas ( ou du moins le croyait-il, ''je vais marcher droit devant moi et je finirai bien par tomber sur quelqu'un .''

Il n'allait quand même pas appeler à tue-tête ; ç'eût été bien peu protocolaire !

Luis, dans ce genre de cas, c'est à dire quand on voyait à peine ses pieds, s'asseyait dans un coin, et attendait que ça passe. Il observait en même temps ce qu'il se passait, silencieusement, autour de lui. Il faut dire qu'il était plutôt du genre discret et personne ne faisait attention à lui. Le seul qui aurait pu réellement se préoccuper de son sort, c'était le capitaine, qui aurait pu le réclamer pour quoique ce soit.
Il vit d'ailleurs la tête blonde dudit capitaine passait devant lui, et, curieux, mais aussi légèrement inquiet (car ce cher capitaine est....comment dire? tête en l'air?), il le suivit bien sagement, et put ainsi constater que le capitaine se faisait en quelque sorte la malle. Sûrement qu'il avait pu échapper à la surveillance de Braun.
En tout les cas, sans la moindre hésitation il sauta dans la chaloupe, sans même que son capitaine s'en aperçoive (comme quoi il est vraiment tête en l'air). Il ne chercha pas à signaler sa présence, se contentant d'essayer de ne pas perdre Modaka de vue.
Et il échoua. Arrivée à terre, il finit par ne plus savoir où était ledit Modaka. En désespoir de cause, il resta tout bonnement figé là où il était, attendant que, peut-être, son capitaine ne revienne dans le coin. Il attendit, il faut l'avouer, assez longtemps. Mais quand il s'agissait de Yorick O'Brien, Luis pouvait se montrer d'une patience assez incroyable (de toute façon, avec un énergunème pareil pour maître, il valait mieux.)
Puis, finalement, il sentit un truc lui léchouillait les orteils et compris qu'il s'agissait du chien de son maître. Sans la moindre hésitation, ouvrant grand les bras, il se laissa presque tomber en avant pour étreindre le corps qui se présentait à lui.

"Modaka!"

Voilà, il avait retrouvé, maintenant, il s'agissait de ne plus le perdre...Ah! Et de retrouver la chaloupe aussi, peut-être....

Ayant miraculeusement échappé à tous les dangers redoutables d'une plage dans le brouillards, c'est à dire les habituels téléscopages de palmiers refuseurs de priorité et autres variantes tropicales amusantes, Yorick revint à son point de départ . Ses réflexions l'avaient mené à une question intéressante : au fond l'Irlande, berceau de sa famille ( la famille de son hérétique de père ne comptant absolument pas ^^ ) n'était-elle pas la première terre d'outre-mer victime de l'impérialisme maritime de la nation anglaise que lui-même servait aujourd'hui les intérêts ?

Il sauta en arrière avec un cri de terreur quand quelque chose surgit du brouillard en criant ce qui n'était pas exactement son nom avec l'enthousiasme d'un cannibale à l'arrivée du panier-repas . Ce ne pouvait être que Luis, et d'ailleurs il n'eut même pas le temps d'avoir vraiment peur qu'il en était déjà certain ; mais c'était un réflexe et puis il pourrait se faire consoler comme ça ! Si quelqu'un n'avait aucun scrupule pour se ridiculiser jusqu'à obtenir un câlin ou quoi que ce soit dont il avait envie, c'était bien Yorick, c'est à dire du moment où ça restait dans la stricte intimité de son couple . Avec Luis il n'arborait jamais la mine pincée qu'il réservait à ses officiers ou aux inconnus avec lesquels il s'agissait de marquer la distance de sécurité .

''Tu ne devrais pas être à terre,'' lui reprocha-t-il gentiment en agitant l'index . ''Bon, on va attendre ici et sans doute que Monsieur Braun viendra bientôt nous chercher . Tu veux bien faire du feu, s'il te plaît ?''

Il referma ses bras sur sa poitrine en frissonnant : la brume s'infiltrait désagréablement à travers ses vêtements .

Luis ne répondit pas. Au lieu de ça, il attrapa le bras de son maître, l'obligeant à le suivre, et il s'éloigna de la rive pour chercher du bois. Pour lui, la solution était simple, marcher tout droit, puis faire demi-tour. Il accomplit donc sa besogne, en tentant de ne pas s'écarter du chemin, et en ne lâchant surtout pas son maître.
Il revint à la rive, du bois sous le bras, et son maître sous l'autre (enfin, il lui tient le bras). Il planta l'une des branches dans le sable, pour attacher le cabot, et fit bien sagement du feu, en ayant toujours un oeil sur son capitaine. Il avait parfois vraiment l'impression de surveiller un gosse.
Le feu fait, il alla déposer un bisou sur la joue de son maître, pour...le rassurer? le consoler? Parce que le maître aimait ça, surtout, et c'est tout ce qui comptait. Puis il s'assit à ses côtés, et s'empara de l'une des longues mèches blondes pour jouer avec. Une habitude qu'il avait prise, et qui ne semblait pas déplaire au capitaine. Et maintenant? Attendre, comme il avait fait un peu plus tôt...Mais il était sûr qu'avec Modaka à ses côtés, il ne s'ennuyerait pas. Son capitaine était....comment disait-on? Un "éclairé"? Il avait souvent des idées bizarres, comme par exemple, quitter le navire alors qu'on ne voyait pas ses propres pieds...Si Braun n'était pas là...Luis se demandait si, en fait, le navire n'aurait pas coulé depuis longtemps, sans Braun? Enfin, pourvu qu'il remarque l'absence du capitaine et qu'il les retrouve. Sinon, il allait falloir qu'ils attendent que le brouillard tombe, et il n'avait aucunes provisions...Ah si! Le chien...

Yorick suivit son compagnon beaucoup plus sagement que le chien qui était un sale rebelle dans le genre de Braun, sans parler ce qui parfois valait sans doute mieux et sans aider non plus parce que sans être fainéant, il ne faisait rien tant qu'on ne lui demandait pas expressément ; enfin en ce qui concerne le travail manuel . Enfin je me comprends . Bref ! Il se retrouva comme par magie ( et il devait le voir un peu comme ça ) devant un petit feu fort sympathique avec un bisou en prime et arbora un grand sourire .

De temps en temps, comme ça, il trouvait un coin de terre qui ressemblait encore plus à une petite bulle protégée et autarcique que sa maison sur l'eau ; et dans ces conditions, tranquille avec son familier, il se sentait tellement bien qu'il n'était plus protocolaire du tout . Bien sûr si quelqu'un ( même le cannibale cité plus haut ) s'était présenté il se serait levé précipitamment pour esquisser le salut militaire en rougissant comme une pivoine ; mais pour le moment, il se coucha sur le sable en attirant doucement son esclave par leurs doigts entrelacés et lui adressa un sourire radieux .

''On est tout humides avec cette saleté de brume,'' remarqua-t-il à mi-voix avec une petite moue, ''j'ai peur que tu prennes froid . Dis, tu veux que je te récite la fable du loup et du chien ? Je la sais par coeur, je pense,'' déclara-t-il fièrement en repoussant ses cheveux qui lui couvraient les yeux ''mais pour l'accent je ne suis pas sûr d'être au point .''

En effet, on avait rarement vu un accent français plus pitoyable, ou plutôt son accent irlandais était très réussi, quelle que soit la langue qu'il essaye de parler et l'anglais était le pire de tout . Mais il savait très bien sa fable, qu'il avait apprise avec un sérieux tout militaire quoique les militaire apprennent généralement de moins sympathiques exercices .

Suivant le mouvement de son capitaine, Luis s'allongea dans le sable, à ses côtés. Il regrettait de ne pouvoir voir le ciel, à cause du brouillard. Cela lui arrivait bien souvent, sur le bateau, de contempler le ciel, sans raison. Il le trouvait toujours très beau.
Il tourna son visage vers celui de son capitaine au son de sa voix.

"Modaka, en quoi une fable va t-elle me réchauffer?"

Ce n'était pas une moquerie. C'était une réelle question. Il ne comprenait pas bien le lien entre le froid et la fable, mais peut-être qu'en l'écoutant, il comprendrait.

"Je n'ai pas froid mais dis-moi ta fable."

Il était curieux de l'entendre et puis, il trouvait toujours la voix de son capitaine charmante et ne prêtait guère attention à son accent. Sur ce sujet, il n'était guère objectif. Il avait commencé à nourir un certain attachement pour cet homme et sa compagnie lui était devenu agréable. D'où le fait qu'il le suive ainsi, pour veiller qu'il ne lui arrive rien de fâcheux, alors, qu'en théorie, il devrait le faire pour obtenir le maximum d'informations possibles. Il oubliait parfois, bien souvent en fait, la réelle raison de sa présence auprès de cet homme.

''Il n'y a pas de rapport,'' dit Yorick en éclatant de rire . Ce qui était admirable entre eux et les empêcherait sans doute à jamais de s'ennuyer ensemble, c'est qu'ils étaient pris dans un mouvement perpétuel, celui d'un émerveillement toujours renouvelé devant la naïveté de l'autre ( un peu comme les poissons rouges qui ont le temps d'oublier le paysage de leur bocal le temps d'en faire le tour . ) Et par chance aucun des deux n'était capable d'être agacé devant ce genre de comportement . Oui, tout à fait d'accord avec vous, ça peut paraître affligeant vu de l'extérieur . Mais ''Modaka'' était à l'intérieur et sa petite bulle lui convenait parfaitement . ''J'ai sauté du coq à l'âne,'' reprit-il espièglement . C'était une gentille vengeance que d'employer toujours des expressions a priori absurdes pour rendre son compagnon perplexe ; il était vaguement jaloux des connaissances linguistiques de Luis et se plaisait à le piéger ainsi, sachant qu'il prenait tout au pied de la lettre le temps de remarquer que son capitaine et maître se moquait de lui .

''Mais on peut considérer que ça nous changera les idées le temps que quelqu'un vienne nous chercher,'' reprit-il avec son air sérieux . Il se roula en boule contre son compagnon parce que lui, il commençait à ressentir le froid, et entreprit de réciter, en se laissant distraire par toutes les idées que lui inspirait la langue de La Fontaine pour enquiquiner un bel esclave couché à ses côtés . Il faut dire qu'il y avait de quoi et c'était bien parti, vu la mentalité des mecs, pour finir en bataille de chatouilles ! ''Un loup n'avait que les os et la peau ...'' Yorick alla reconnaître d'une main familière le contour des côtes légérement apparentes de son compagnon . ''Tant les chiens faisaient bonne garde ...'' D'un coup de reins il se retourna tout à fait pour s'appuyer sur la poitrine de Luis, menton posé sur ses bras croisés et le couvant d'un regard possessif . ''Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau ...'' Répandant ses longs cheveux, Yorick s'était rapproché le temps d'un battement de cils pour finir par ponctuer sa phrase d'un baiser papillon . ''... gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde .'' Il y avait quelque chose d'autre qui se fourvoyait et ce n'était pas du tout par mégarde, en direction des hanches de l'esclave ainsi immobilisé, glissant entre chair et tissu le plus sournoisement du monde . Et vu la suite, je vous laisse deviner comme ça tourne ... il y avait peut-être finalement à la fois de quoi se réchauffer et attendre les secours ...

''L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l'eût fait volontiers . Mais il fallait livrer bataille, Et le mâtin était de taille A se défendre hardiment . Sire Loup donc l'aborde humblement ...''

C'est alors qu'une pensée le frappa . ( Aïe . ^^ ) Un souvenir tout droit sorti de son évanouissement de la dernière castagne, lorsqu'il s'était fait assommer par une bouline errante déviée par un coup de canon . Sans transition, et sans finir la fable, il se mit en devoir de faire promettre à Luis qu'il ne mettrait plus le nez hors de sa cabine lorsqu'il y avait un affrontement .

Luis écouta donc attentivement la fable. Allongé sur le dos, les bras derrière la tête, fixant ce ciel que décidément il ne pourrait pas apercevoir. Il se posa aussi quelques questions sur l"histoire du coq et de l'âne, et chercha le lien avec celle du loup et du chien. Mais abandonna rapidement, se concentrant complètement sur la voix de son compagnon.
Il y avait aussi les mains balladeuses, mais ça, il y était habitué, et puis, ce n'était absolument pas désagréable. Au contraire même, il finit par fermer les yeux, pour ne se préoccuper plus que de son ouïe et du touché. Il ne les rouvrit que lorsque son capitaine interrompit la fable, et se mit sur son séant, fixant le blond toujours allongé.

"Mais Modaka, tu es mon maître, je ne peux pas te laisser te battre tout seul. S'il t'arrive quelque chose...Moi, je peux agir. Et puis si tu meurs, je dois mourir aussi."

Conception qu'on lui avait enfoncé dans le crâne: "Quand le maître meurt, tu meurs." Luis avait compris depuis longtemps qu'il ne s'appartenait plus, et même s'il avait l'espoir d'être libre, son maître actuel était Yorick O'Brien, et si son destin était de mourir avec cet homme, et bien il dirait adieu à sa liberté.

Il jeta un coup d'oeil alentour, et réalisa que le chien n'était plus là. Comme cet animal n'était pas d'une grande intelligence, il y avait des chances pour qu'il se soit fait la malle et se soit perdu. En effet, un bout de bois dans le sable, il y avait des chances que ça ne tiennent pas très bien, surtout avec un cabot assez stupide pour tirer dessus à s'en étrangler.

"Trois pattes a disparu."

Peut-être qu'il avait eu faim, en fait...En soit, la disparition de cet animal ne lui faisait ni chaud ni froid, mais il craignait que ce ne soit pas le cas de son maître.

Euh oui, le laisser se battre tout seul, façon de parler alors ... pas certain qu'on puisse appeler ça se battre, mais c'est vrai que théoriquement c'était le rôle du capitaine alors on va appeler ça de la politesse ; lui en tout cas le prit ainsi et ne songea pas un instant à rétablir la vérité des faits, d'autant qu'au fond Luis n'avait pas tort, il aurait pu se faire marcher dessus un moment ou pire, tomber entre les mains du chirurgien de bord prêt à diagnostiquer un traumatisme crânien pour le simple plaisir d'une lobotomie sauvage, si son esclave ne l'avait pas eu à l'oeil . Quant à Braun, il ne fallait pas lui en demander trop : il était à l'abordage et avait depuis longtemps disparu du champ de vision immédiat .

''Eh bien moi aussi je mourrai si il t'arrive quelque chose ! Et si je fais très attention à moi, tu ne mourras jamais ?'' réagit immédiatement Yorick avec une mimique suppliante qui aurait attendri un peloton d'exécution . Il se remettait à peine et avec de fréquentes rechutes de l'état pitoyable où l'avait plongé la mort de son ancien compagnon et avait reporté en bloc toute son idolâtrie naturelle sur le nouveau qui lui était tombé du ciel .

Il fut assez mécontent de voir que quelque chose venait distraire Luis de ses préoccupations actuelles, et lui posa doucement la main sur la joue pour ramener son regard vers lui, à travers le rideau mouvant de gouttes d'eau en suspension .

''C'est un chien, il retrouvera la piste . Enfin ce n'est certainement pas un chien de chasse ... difficile de dire un chien de quoi, j'avoue . Mais si tu ne me réponds pas, ce sera un mauvais présage et je n'en dormirai pas de la nuit !''

Les derniers mots lui tirèrent un petit rire rougissant tandis qu'il se blottissait contre son compagnon en murmurant : ''Je veux dire que ça me tracassera . Alors sois gentil, dis-moi que tu ne mourras jamais .'' Naturellement c'était idiot mais il aurait défendu sa phrase devant un tas de savants assoiffés de polémique et acquis aux nouvelles théories de dissolution des atomes de l'âme après la mort . Comme si son seul enthousiasme pouvait arrêter le raz-de-marée de la réalité concrète . Et après tout pourquoi pas ?

Son capitaine fit le nécessaire pour obtenir toute l'attention de Luis, ce qui, en fait, n'était pas bien difficile. Finalement, il n'avait pas l'air trop tracassé par la disparition de son chien, ce qui étonna l'esclave. Alors il écouta attentivement son maître, qui semblait légèrement déprimé, sans que Luis ne comprenne trop pourquoi. Il faut dire que c'était fréquent, ces passages à vide chez lui. Brusquement, il pouvait être complètement déprimé, et dans ce genre de cas, Luis accourait pour lui faire un câlin ou un simple bisou.

En effet, où qu'il se trouve sur le bateau, quelque soit sa distance avec son maître, dès qu'il apercevait son visage triste, il accourait pour lui offrir un léger baiser, ou le prendre simplement dans ces bras. Dans son esprit légèrement simplifié, bisou et/ou câlin=consolation, en tout les cas pour Yorick. En effet, après cela, le capitaine retrouvait généralement son sourire. Luis ne comprenait pas trop ce "phénomène", mais tant que ça marchait, c'était le principal.
Alors, lorsque Modaka se blottit contre lui, il entoura son corps de ses bras, tout naturellement. Il devait vite lui faire retrouver le sourire.

"Je ne mourrais pas avant toi."

Luis ne mentait pas. Il n'en était pas vraiment capable. Alors il ne disait pas cela pour consoler son capitaine, il le disait parce qu'il considérait que c'était la vérité. Il ne mourrait que si son maître devait perdre la vie, sinon, il n'y avait pas de raison qu'il quitte ce monde. A moins qu'un dieu quelconque ne le rappelle auprès de lui...

Les bras de Luis étaient une forteresse pour Yorick . Non pas qu'il soit tellement plus fort, mais ce contact franc et affirmé était la preuve d'une réalité . Rassuré par cette garantie, bercé par le bruit du coeur de son compagnon, Yorick se calma graduellement et poussa un profond soupir . Avec ses façons particulières et son acceptation absolue du monde, Luis était non seulement un repère pour retrouver la sérénité au milieu d'un univers de contraintes, c'était aussi une sorte d'âme soeur, le meilleur ami qu'il puisse avoir . Tout en se pressant contre lui, il le retenait par la taille pour l'empêcher de reculer vers le feu qui n'était pas loin . Il resta un moment ainsi à savourer leurs tièdes chaleurs mêlées avant de consentir à une manifestation de bonne humeur . Il ne serait jamais rassuré totalement mais du moins avec ce corps dans ces bras parviendrait-il à s'endormir paisiblement .

''C'est toi le plus beau, mon Luis,'' sourit-il avec une fierté sincère en lui posant un doux baiser au bord des lèvres . ''Allez, pas de Nerea en vue mais il serait tout de même sage de remettre la main sur cette andouille de cabot, un de ces jours . ''

On pouvait lire tout à fait clairement dans ses yeux qu'il ne parviendrait pas à se détacher de son esclave, et ce n'est pas qu'il n'avait pas envie de se lever pour sa part ; il n'avait envie qu'aucun d'eux deux ne se lève . Il avait envie de poser à Luis des questions sans queue ni tête ( encore une expression qui les avait bien fait rire le jour où le jeune homme l'avait découverte ) telles que ''est-ce que tu m'aimes ?'' ou ''qu'est-ce que tu as pensé de la dernière fois ?'' etc, donc il limita les dégâts en se contentant d'un modeste et presque timide :

''J'ai envie de t'acheter un cadeau quand on arrivera à Madagascar . Qu'est-ce qui te plairait ?''

Avec les quantités monstrueuses de métal noble qu'il déboursait à chaque escale pour son insatiable second, c'était bien le diable s'il ne prenait pas un peu soin de son favori ... mais comme Luis ne réclamait jamais rien, il avait du mal à choisir quoi lui offrir .

Le câlin semblait avoir fonctionné. Le capitaine voulait retrouver son chien, et c'était bon signe. Même si, malgré ses paroles, il ne bougeait pas de yota. Alors que Modaka parlait toujours, les yeux de Luis se perdirent dans l'horizon. Il se dit que, après tout, avec de la chance, il ne pourrait rien arriver au chien, et qu'il pouvait bien rester ici encore un peu. Ils iraient à sa recherche ensuite. Il leva ensuite la tête vers le ciel, qu'il ne voyait toujours pas, puis revint vers son capitaine. La question le surprit. On ne lui avait jamais appris qu'un maître pouvait acheter un cadeau à son esclave. Et, Luis ne voulait rien, si ce n'est sa liberté et sa fille, mais ça, il ne pouvait pas le dire à Modaka. Cela le rendrait triste, il n'en doutait pas; tout comme s'il apprenait que Luis était en réalité un espion.

Il réfléchissait à ce qu'il pourrait vouloir, quand on vint les interrompre. Une femme apparemment, et plutôt plaisante aux yeux de Luis. Mais son regard vint assez rapidement sur le chien. Il quitta ainsi son capitaine, pour, sans la moindre méfiance, allait chercher l'animal, qu'il prit dans ses bras.

"Où étais-tu cabot?"

Nom légèrement moins affectueux que celui de son capitaine, que Luis avait donné au chien.

Une île perdue, un beau garçon étendu sur le sable à ses côtés, les soucis du service au diable-vauvert ... le Paradis, quoi ! Et là, vlan : une voix féminine fit sortir Yorick du rêve, en sursaut, maîtrisant de justesse un cri de terreur . Qu'est-ce qu'elle faisait là celle-là ? En plus elle lui semblait bien patibulaire ... trop d'armes blanches à son goût, un peu le modèle Nerea si on lui demandait son avis .

Heureusement, elle, elle avait l'air normale dans sa tête . Yorick se calma rapidement ( de toute façon il ne pouvait pas vraiment se défendre, avec un pistolet c'était encore son pied à lui qui courait le plus de risques ... alors à quoi bon essayer ? ) mais paniqua de nouveau lorsque son compagnon se leva pour s'approcher d'elle, et si c'était une cannibale ou pire encore une de ces amazones qui peuplent les îles vraiment mal fréquentées et réduisent les hommes en esclavage ? Naturellement, du point de vue de Luis on ne peut pas dire que ça changerait grand-chose mais ...

Là, de deux choses l'une : soit ... non, avant même d'avoir réfléchi à tout ça il se leva et rejoignit les deux autres pour y mêler son grain de sel .

''C'est mon chien, madame,'' lança-t-il de la voix un peu enfantine qu'il prenait quand il succombait à une de ses crises de timidité tout en arborant les joues les plus rouges qu'on puisse voir ; c'était presque de l'allergie à ce stade-là . Il se pendit au bras de Luis pour se rassurer et lorgna l'inconnue d'un regard dubitatif . Rien que son décolleté avait de quoi faire peur . Soudain une idée le frappa : elle devait avoir froid, habillée comme ça avec l'humidité collante contenue dans l'air .

''Merci de l'avoir rapporté ... si vous voulez ... enfin ...'' Il s'arrêta avant de commencer à bégayer et lui désigna du pouce la flambée qui rougeoyait un peu plus loin dans la brume .

Luis ne fut pas surpris de sentir son capitaine se pendre à son bras. Mais contrairement à ce dernier, il ne comptait pas inviter la jeune fille à leur feu, ou à quoique ce soit d'autre. Le principal, c'était le chien, maintenant il serait peut-être temps de retourner au bateau.

"Merci mademoiselle."

Il s'inclina poliment, et, le chien sous un bras, prenant la main de son capitaine de sa main libre (il aurait put tout aussi bien le prendre sous le bras également...), il revint au feu, sans plus se préoccuper de la demoiselle. Il posa le chien au sol, et se posta face à lui, en lui posant un doigt sur le nez.

"Il ne faut pas partir comme ça dans un endroit inconnu, surtout quand on y voit rien. Modaka s'inquiétait."

Le chien aboya, et Luis se tourna, tout sourire, vers son capitaine.

"Je crois qu'il a comprit. On fait quoi maintenant? On rentre?"

Mais en seraient-ils seulement capable? En soit lui, il n'était pas un marin...Quand à Yorick, on pouvait aussi en douter. Seul son étrange "mal de terre" prouvait l'importance de la mer dans sa vie.