[ LIBRE ] Qui m'aime me suive XD

Anne-Pierre de Saint-Caast fit semblant de ne pas remarquer la moquerie dans les propos de la jeune femme. Refermant les volets et la fenêtre, le Receveur se rassit à son bureau en soupirant. Il écarta les dossiers précautionneusement, en essayant de ne pas faire tomber l’énorme pile de feuillets, cartes, livres de comptes et ordres de missions prêts à remplir. D’abord les plaintes des Portugais, des Anglais, des Italiens, sans parler de celles des locaux, à propos des raids incessants d’Astarloa et de ses hommes, et de leur incroyable cruauté absolument contraire au code de la mer ; puis les missives de Truchot père à propos de son débauché de fils… Il n’arrivait déjà qu’avec peine à maintenir un minimum d’exportations vers la métropole, si en plus il fallait surveiller les vaisseaux des alliés et des neutres, défendre tous les villages et retrouver un gamin perdu… Il n’était ni gouverneur militaire, ni garde-côtes, et encore moins nourrice.

Mais les corsaires avaient apparemment été ravis d’apprendre la mise à prix de la tête du fils Truchot. Connaissant la rapacité des capitaines au service de la CIO, il avait volontairement minoré la récompense promise par Truchot. Il s’attendait à voir rappliquer incessamment sous peu au moins un des capitaines, pour marchander la tête du garçon. Même si la réponse irrespectueuse d’O’Brien avait semblé témoigner d’un certain désintérêt pour la chasse à l’homme, une lueur d’avidité avait brillé dans les yeux de la jeune femme. Il serait toujours temps de promettre un peu plus que la prime proposée par Truchot père, si Khenti s’engageait à rapporter un peu plus que la tête de… comment s’appelait-il déjà ? Ah oui, Alucard… Drôle de nom. Peut-être une nouvelle mode pour les jeunes ?

A propos de jeunes… La petite debout aux côtés de la corsaire n’avait pas l’air bien vieille. Elle était plutôt jolie mais avait l’air timide, surtout dévisagée comme elle l’était par les marins. Son visage lui disait quelque chose, mais Saint-Caast n’arrivait pas à mettre un nom dessus.

On frappa à la porte. Quelques secondes plus tard, un de ses commis entra avec une nouvelle pile de feuilles. « Le rapport des gardes postés au nord de l’île, Monsieur. Ils ont aperçu de la côte un vaisseau se faire aborder et capturer par les Pirates. Ce n’était apparemment pas un navire à nous, mais comme il a coulé en les eaux de Madagascar, la CIO est chargée de l’affaire… »
Saint-Caast hésita entre étrangler le commis, jeter les papiers au feu ou entrer illico au monastère, pour finir par prendre le dossier et le poser sur la pile. Et encore une affaire de plus à terminer avant de se coucher… Le commis sortit sans penser à retenir la porte. Et ce qui devait arriver arriva : la fragile construction de papier s’effondra. Saint-Caast se força à respirer calmement. Il ramassa une partie des feuillets, les replaça sur le bureau, et entassa les autres sur son lit dans la pièce voisine. Une fois de plus, il était probable qu’il ne profiterait pas de la nuit. Il était plus que temps d’en finir avec cet Astarloa. Anne-Pierre espérait vraiment qu’O’Brien arriverait vite à compléter son équipage pour donner la chasse au pirate… rien que pour pouvoir à nouveau dormir plus de 3 heures d’affilée.

La jeune Mary vit à quel point le second de Yorick avait l'air déprimé. Elle crut que c'était de sa faute, et la jeune fille en fut un peu désolée. Elle n'avait pas l'habitude de se comporter ainsi avec les hommes, mais voulait juste ressembler à Khenti, et ne pas la décevoir.

L'adolescente s'approcha doucement de Soren, qui ne la remarqua qu'après avoir senti son délicat parfum de fruits. Pendant ce temps, Khenti et Yorick étaient en train de discuter à propos de l'ammarage prochain des navires.

Elle fixa pendant un long moment le second, et lui sourit alors, en disant de sa voix fluette:

"Vous avez l'air malheureux... Désirez vous venir boire un verre avec moi? "

Elle avait formulé sa demande d'une façon si polie, si calme, qu'elle ne put s'empêcher de rougir de sa propre audace. C'était bien la première fois qu'elle proposait cela à un homme...

Soren eut un léger froncement de sourcil en voyant le second de Khenti venir jusqu'à lui, il la trouvait joli mais au vu du regard noir qu'elle lui avait jeté un peu plus tôt il ne s'attendait pas à autant de sollicitude. Autant de naïveté était touchant à voir, nul doute qu'elle ne devait pas souvent aborder les hommes et encore moins ceux qui ressemblait à Soren. Mais elle venait de lui donner un excellent prétexte au cas où O'brien le retiendrait un peu trop ou s'il le surprenait au moment où il redescendait sur le quai.

" Je suis surtout en train de m'ennuyer ferme mais je ne refuserais en aucun cas de prendre un verre en votre compagnie. Cependant je doute de pouvoir le faire avant une certaine heure, le capitaine O'Brien semble vouloir m'entretenir d'un sujet qui met plus de temps que prévu à arriver sur le tapis."

Le second avait l'impression que cette soirée tournait un peu trop vite au cauchemar mais avec la venue de cette charmante jeune fille elle pourrait encore redevenir à peu près normal. Soren avait du mal à imaginer une soirée à terre sans s'amuser un peu.

Le plancher des vaches était certainement excellent pour ces nobles ruminants mais Yorick ne se rangeait nullement dans cette catégorie, préférant de loin les marins tant pour l'être que pour l'avoir . Il était déjà à quelques encablures, cédant à l'appel de la mer et de la pente douce qui y conduisait . Il se retourna avec mauvaise humeur vers son second qui contait fleurette, pire ! qui se laissait conter fleurette .

''Mon-sieur-Braun ...'' marmonna-t-il entre ses dents, tapant nerveusement du pied en attendant son compagnon . Il pouvait naturellement partir en avant mais d'une part il avait un service de grande importance à requérir de son indispensable personne, sans compter que d'autre part s'il le laissait là où il était il y avait de fortes chances pour qu'il ne le revoie pas avant un certain moment .

Comme on ne prêtait pas attention à lui, il revint sur ses pas et entraîna son second par le bras avec une oeillade assez hostile à la jeune fille . Dire qu'il avait peut-être couru le risque de l'épouser, celle-là ! Et maintenant elle courait les océans sous le pavillon des mercenaires et lui dévergondait son second sous son nez pour ainsi dire . Ah là là ! Si madame O'Brien mère l'avait su .

''Monsieur Braun, je vous rappelle que nous avons un rendez-vous au port et que par ailleurs aussitôt que la chose de la plus haute importance dont je comptais vous entretenir me sera revenue en mémoire, il faudra que je vous l'expose de toute urgence .''

Y a que les politiques et les capitaines de vaisseau ( et les très, très bons acteurs ) qui peuvent dire une phrase comme ça sans rigoler . Ce qui aidait Yorick, c'est que le mot ''entretenir'' dans une phrase adressée à Braun lui donnait plutôt envie de pleurer à chaudes larmes .