De la bagarre à la taverne ? (archi libre !)

Voilà pourquoi il avait toujours préféré l'épée au sabre ! L'épée était une arme de taille et d'estoc tout à la fois, tandis que le sabre ne permettait que les coups de taille. Khenti avait sans doute espéré jouer sur ce faux avantage, puisqu'au lieu de réengager le fer, elle choisit d'essayer de l'intimider en faisant de grands moulinet de lame. Karim, qui affrontait sans sourciller les plus redoutables manieurs de cimeterre d'Afrique, ne se laissa pas impressioner, et au lieu de rompre pour mieux marcher sur elle, se protégea de son second coup de taille d'une simple parade en croix, avant d'envelopper son sabre et de le lui faire sauter des mains.

Sa position n'était pas la meilleure pour effectuer cette manoeuvre, et Khenti étaitb loin d'être une sabreuse d'opérette, aussi la lame ne sauta-t-elle pas très loin, et Khenti la rattrapa sans difficulté. Ce laps de temps avait néanmoins permi à Karim se sauter sur le comptoir, et de se remettre en garde. Il dominait toute la salle à présent, et adressa son plus beau sourire à Khenti :

"Lève la jambe, ma mignonne, que je vois ce qui se cache sous ces jolis voiles !"

Astarloa fit sauter son sabre, heureusement elle le ratrapa presque immédiatement. Il profita de ce court labs de temps pour sauter sur le comptoir et acquérir ainsi une meilleure position qu'elle. Khenti se sentit doublement consciente de ses faiblesses : combattre au sabre contre une rapière était chose malaisée, et il se trouvait en meilleure posture. Cependant, il l'invita à monter avec lui :

"Lève la jambe, ma mignonne, que je vois ce qui se cache sous ces jolis voiles !"

Grimper serait se mettre en position forte, mais le mouvement était dangereux. Qui sait s'il ne viendrait pas la frapper alors qu'elle montait ? Conscient de tous les enjeux, elle plia ses jambes et, d'un bond, parvint sur le comptoir.

"Si tu veux voir ce qui se cache là dessous, faudra soit te faire corsaire, soit te faire violence, et les deux me conviennent... surtout si c'est moi qui suis violente avec toi !!"

Ce disant, elle donna un leste coup de pied dans la bouteille de rhum qu'elle avait elle-même payé, et l'envoya à la figure de Karim. Tandis qu'il consacrait son attention à l'objet, elle leva sa jambe à quatre-vingt dix degrès, comme il l'avait ordonné, et la détendit sèchement. Le coup de pied cueuillit le pirate à la poitrine.

"Alors, t'as bien vu c'qu'y avait sous mes voiles ou je recommence ? !"

Khenti avait bondi sur le comptoir, et tout en lui manifestant une nouvelle fois sa tendresse, usa d'un coup bien connu de tous les habitués des bars : elle lui balança sa bouteille à la figure. Karim baissa la tête pour l'éviter, et se faisant, baissa légèrement sa garde une fraction de seconde. Cette saleté de corsaire en profita pour lui envoyer un coup de pied sauté à la poitrine, et Karim ne dut son salut qu'à un vieux réflexe : il plia les jambes pour accompagner le coup, et se rejeta vivement en arrière. Reprenant son souffle, et continuant son mouvement, il se plia tout à fait en arrière, et rapide comme la pensée, détendit les jambes et faucha les chevilles de Khenti, qui venait de reposer les deux pieds au sol.

Profitant de ce qu'ils étaient tous les deux à terre, jambes écartés et souffle court, Karim s'autorisa une plaisanterie : "Non, mais maintenant je vois très bien... Jolie toison, aussi fournie que ta chevelure !"

Il se releva d'un bond, et raffermit sa prise sur ses armes, qu'il n'avait heureusement pas lâchées. C'était à qui serait le plus audacieux, et le plus rapide...

Rapide comme l'éclair mais pas aussi bruyant que le tonerre, Astarloa avait fauché ses jambes. Khenti se retrouva les fesses sur le comptoir, jambes écartées, sabres toujours à la main bien heureusement.

Elle lui jeta un regard haineux et répondit : "Tu as vraiment mauvaise vue, c'est un sous-vêtement, imbécile. Tu crois que je vais me balader à moitié à poil ? ! Mais même si je ne t'autorise pas à me déshabiller du regard, je peux quand même t'offrir un équivalent d'une position du kamasutra !"

La très étrange interjection étonna quelque peu Astarloa qui ne vit pas le coup venir. C'était un peu dangereux, mais Khenti adorait ce genre de prises. Elle excellait en combat au corps à corps, tandis qu'au sabre, elle n'était pas une lame aussi fine que son adversaire. Surtout pas face à une rapière et un tel escrimeur. Elle avait deviné dès la première passe d'armes qu'il était plus fort qu'elle en escrime.

Elle glissa l'un de ses sabres entre ses dents, se releva d'une torsion de dos, et fenta en avant. Elle cogna fortement la rapière d'Astarloa qui virevolta dans les airs. Face à l'homme à demi désarmé, elle bondit en avant comme une lionne. Karim retomba au sol et elle par dessus lui.

Un sabre entre les dents et l'autre dans sa main qui maintenant le poignard au sol, on aurait dit une démone. De son autre main, elle tentait d'étrangler le pirate. La rapière retomba juste à côté de la tête du pirate, pointe vers lui.

Khenti saisit son autre sabre et s'apprêta à le lui enfoncer en travers de la gorge.

Dès que son capitaine s'était fait désarmer, Alucard avait pressentit qu'il lui faudrait intervenir. D'habitude prompt à la bagarre, il avait fait l'effort de se tenir à l'écart, mais gardant une main sur son fleuret qu'il était prêt à dégainer. Certes, ça n'était pas l'arme la plus efficace mais la lame était terriblement souple, ce qui pouvait être très difficile à contrer.

Voyant que Khenti était entrain d'étrangler Karim sans que celui-ci ne puisse rien faire, Alucard décida de passer à l'action. D'un souple mouvement de poignet du bas vers le haut, il blessa profondément le bras qui menaçait la gorge de son capitaine, faisant en sorte que la jeune femme desserre quelque peu sa prise. Et puis, tant pis pour l'honneur, son pied alla cueillir le visage de son adversaire qu'il envoya un peu plus loin. Pas trop non plus, mais c'était suffisant. Relevant son capitaine, il lui remit sa rapière en main, lui jetant un bref regard inquiet.

"Tout va bien, capitaine?"

Karim n'avait pas eu le temps de trouver une parade quelconque au coup de tordu de Khenti : elle s'était jeté sur lui ! Cette espèce de chiennase foutrement rapide avait envoyé son épée voltiger à quelques pas de là, et l'avait plaqué au sol, sabre aux dents, toutes griffes dehors. Karim n'avait plus qu'une seule main de libre, sans arme, et tenta un mouvement désespéré avant qu'elle ne l'égorge : de cette main libre, il alla saisir la dague dans son autre main ( qu'elle maintenait au sol ) et s'apprêtait à la lui enfoncer dans le ventre, lorsqu'Alucard intervint.

Le jeune homme avait dégainé et s'était fendu à fond, d'un coup droit, blessant la démone au bras. Il l'envoya rouler au loin, et rendit sa rapière à Karim, qui s'était remis sur ses pieds.

"Ouais, tout va bien... Merci, gamin, mais la prochaine fois, sangre y muerte !, lorsque j'annonce la couleur de la loyauté, ne me fait plus mentir !"

Il le gratifia d'une tape reconnaissante sur l'épaule, comme pour compenser la dureté de ses paroles, et sauta derrière le comptoir, pour se retrouver face à la Narish, qui s'était elle aussi relevé. Elle ne pouvait plus tenir qu'un seul sabre, et, par pur instinct de gentilhommerie, le pirate rengaîna sa dague.

"Lame contre lame, Narish ! Et par pitié, gente dame, couvrez ce sein que je ne saurais voir, par de pareils objets les âmes sont blessées et cela fait venir de coupables et distrayantes pensées..."

Il souriait, en désignant du bout de sa lame le haut de Khenti, qui avait glissé, dévoilant le haut de ses merveilleux seins.

L'infame pleutre ! Le lâche ! L'abomination !

"Foutrecouilles, Alucard, tu es aussi immonde que dans mon souvenir. Un gosse qui prend des airs de cadors mais qui est aussi pleutre et lâche qu'un vaurien." siffla-t-elle entre ses dents, la voix basse et hachée, tandis qu'elle se relevait.

Pour contrer la douleur, un réflexe humain voulut qu'elle tienne son bras droit d'où coulait un sang pourpre. Elle se retint. Cela reviendrait à abaisser son arme face au capitaine Astarloa. Elle haussa légèrement les épaules - pas plus car son bras droit la faisait horriblement souffrir - et ce simplement mouvement dut faire grossir sa poitrine un bref instant car elle vit les yeux du capitaine s'étrécir. Elle répondit, goguenarde mais la voix légèrement essouflée :

"Si cela peut te rendre plus distrait, je veux bien tout dévoiler, sale pervers ! Par contre, tu vois, si tu es aussi obsédé que tout autre pirate, tu n'as pas les même valeurs qu'eux. Tu te conduis trop en gentilhomme pour être un véritable flibustier. Les pirates n'ont pas à se conduire loyalement. En ce sens, je suis plus libre et plus pirate que toi : je n'obéis qu'à la loi qui m'indique où se trouve ma survie."

Ce disant, elle rengaina son sabre à son flanc droit et saisit un objet qui se trouvait dans son dos.

"Et ma survie, elle se trouve aussi là dedans."

Khenti arma son pistolet déjà chargé, le tendit vers Astarloa qui était toujours sur le comptoir, et visa son avant bras droit. La balle déchira la chair dans une gerbe de sang écarlate.

Comprenant ce que Narish allait faire, Karim avait à peine eût le temps de lâcher un affreux juron ( qui aurait tué sa mère sur le coup si elle avait pu l'entendre ) que cette grosse truie avait saisi un des pistolets qui se trouvaient à sa ceinture, et lui avait tiré dessus sans plus de façon. Il grimaça sous la douleur : c'était comme recevoir dix coups de fouet à la même seconde, et au même endroit.

"Puta del diablo ! Gronda-t-il, Ah tu veux de la piraterie ! Je t'en foutrais moi, de la loi de la survie, chienne de corsaire !"

Il rengaina sa rapière de la main gauche, et tout en parlant, avait bondi sur Khenti, qui après avoir tiré, se trouvait désarmée, et lui avait violemment envoyé son poing gauche dans la mâchoire. Dans ce genre de situation, pour Karim, il n'y avait plus ni hommes, ni femmes, seulement des ennemis. Ignorant -ou surmontant- la douleur de son bras, qui pendait inerte à son côté, il se baissa, profitant de ce qu'elle était encore étourdie du coup, et la saisit à la gorge, tout prêt à l'étrangler sur place. Mais il réfléchit que dans cette position, elle avait encore une main libre et valide, tandis que lui n'en avait plus. Avisant la porte de la cave entrouverte, il ressera un peu plus sa prise sur la gorge de la jeune femme, juste assez pour l'empêcher de reprendre son souffle, et la jeta dans l'escalier après avoir ouvert la porte d'un coup de pied. Elle dégringola sur les marches de pierre, et atterit sur les fûts et les bouteilles. Karim, furieux, avait sorti son propre pistolet, et la visait du haut de l'escalier.

"Ne sous-estime ni les pirates, ni les gentilshommes, Narish." Dit-il froidement, en la regardant se relever péniblement, prêt à faire feu au moindre de ses mouvements brusques.

Khenti s'apprêtait à tirer de nouveau quand elle vit trente six navires. Astarloa venait de lui envoyer un direct du gauche plutôt puissant et elle vacilla vers l'arrière, titubante. Il la saisit par le cou, elle suffoqua. Elle sentait la brûlure du manque d'air naître dans son oesophage, comme une noyade mais en extérieur. La main de l'homme sur son cou lui faisait atrocement mal. Le coup de poing l'avait bien sonnée mais l'étranglement rendait sa vision folle et incertaine. Elle voyait son visage haineux et ne comprit qu'une partie de ses paroles.

Tout à coup, il la lâcha. Elle avala une grande goulée d'air puis soupira de soulagement avant de s'apercevoir qu'il avait ouvert la porte de la cave et la poussait. Khenti perdit l'équilibre. Elle dégringola les marches et hurla. La douleur à son bras était tellement cuisante qu'elle se demandait si elle ne se l'était pas cassé en plus de sa blessure.

Elle attérit dans une cargaison de fûts de vin et de bouteilles pleines qui se brisèrent. Le vin et le rhum éclaboussèrent sa blessure qui devint brûlante. Le verre acheva de la faire hurler. Les yeux pleins de larmes de rage, elle se releva avec peine. Elle s'apprêtait à dégainer son sabre de sa main gauche, ou à saisir son pistolet, mais Astarloa la tenait en joue. Il avait en main son propre pistolet, et le canon était pointé vers elle, bien que de précision incertaine.

Elle ne sut que faire, dans tous les cas, il allait tirer et la tuer. Elle ne soupira pas, ne songea même pas à demander sa clémence, elle n'en avait pas eu pour lui. De toute manière, dans un duel, il fallait s'attendre à perdre la vie. C'était la règle essentielle. Une chance sur deux d'y passer. Pile, tu vis. Face, tu crèves.

Elle fixa Astarloa de son regard le plus noir et décida de ce qu'elle allait faire. Le rhum brûlait très bien, et elle savait que le tavernier avait un passage qui menait à l'extérieur. C'était par là qu'on lui livrait ses commandes.

Il lui en voudrait beaucoup et elle se ferait beaucoup d'ennemis, mais tant pis. Elle savait où se trouvait la voie de sa survie...

Puisant dans ses dernières forces, elle courut sur sa gauche, se dérobant ainsi au regard d'Astarloa. Avec une lueur sauvage dans les yeux, elle espera qu'il se précipiterait pour venir en finir... elle arracha au mur la seule torche qui éclairait la cave et l'envoya vers le bas des escaliers, là où sa chute avait fait couler tant de bon rhum bien inflammable...

L'incendie fut presque immédiat.

Karim la vit se relever, le foudroyer du regard, et détaler dans l'ombre comme un lapin du désert. Il grogna, et s'apprêtait à tirer au flair, lorsqu'une traîné lumineuse traversa la pièce, et atterit au milieu des barriques de rhum eventrées. Poussant un petit cri de surprise, il se rejetta violemment en arrière, atterissant sur Alucard qui s'était approché pour venir voir ce qu'il en était.

Les flammes, hautes et claires, avaient jaillies et montaient presque jusqu'en haut de l'escalier.

"Au feu ! Hurla l'aubergiste ! Il y a le feu au sous sol, la réserve brûle !"

"Tirons-nous ! Souffla-t-il à Alucard, en se relevant et en ramassant ses armes. Cette diablesse s'est échappée, et elle doit être en train de courir à son bateau pour rassembler ses hommes et appareiller. Il faut que dans dix minutes nous soyons au large !"

Il attrapa son second par le bras et leur fraya un chemin à travers la marée de clients affolés qui tentait de gagner la porte. Plus pragmatique, Karim les dépassa, et entraîna Alucard vers une fenêtre, qu'il brisa d'un de pied.

"Saute, et cours jusqu'à l'Aïcha sans te retourner ! Je te suis !"

Quoique vaguement inquiet pour son capitaine, Alucard acquiesça et sauta en bas de la fenêtre, se redressant rapidement et partant en courant vers l'Aïcha. Il avait horreur de ce genre de manoeuvres mais il n'avait pas le choix. Le plus gros risque était qu'il y ait une bourrasque qui les entraîne trop tôt vers le large. Mais il fallait prendre le risque.

En un rien de temps, il fut sur l'Aïcha, essoufflé au possible, mais pas encore assez que pour l'empêcher de crier suffisamment fort que pour réveiller les hommes.

"Tout le monde sur le pont! On appareille sur-le-champ!"

Un "et le capitaine?" se fit entendre au milieu de la cohue, ce à quoi il répondit par un "j'irais le chercher à la nage s'il le faut! Maintenant, exécution!". Curieusement, personne ne songea à discuter ses ordres, comme si son ton presque militaire avait suffit à dissuader toute tentative de rébellion. Seulement, restait à espérer que Karim se dépêche d'arriver. Sans quoi, il faudrait partir sans lui. Et contrairement à ce qu'il avait dit, il ne pourrait pas aller le chercher. La Compagnie connaîtrait l'endroit et l'envahirait. Ce serait trop dangereux.

Khenti maudit le capitaine de l'Aicha et son second : "Triples bâtards, que Neptune vous emporte par le fond, bande de chacals ! Si... si..."

Elle se mit à tousser, la fumée dégagée par l'incendie envahissant peu à peu la cave bas de plafond. Heureusement pour elle, le grand feu éclairait suffisamment la cave pour qu'elle puisse discerner la porte des livraisons. Malheureusement, il se propageait aussi très vite et il fallait qu'elle se dépêche. La porte était barrée d'une lourde planche de bois, elle eut tout le mal du monde à la soulever avec son seul bras valide.

L'effort l'épuisa, elle sentait la fumée envahir sa gorge déjà douloureuse à cause de l'étranglement, et la douleur à son bras manqua plusieurs fois de la faire défaillir. Elle n'osait pas la regarder et pensait, en tentant de se rassurer, qu'il y avait un excellent chirurgien à bord de son navire.

Khenti réussit enfin à faire sauter la planche de bois, la porte s'ouvrit. Elle sortit dans la rue en toussant de la fumée, les flammes dans son dos formaient une vision d'apocalypse. Elle s'éloigna du foyer de l'incendie en observant les habitants qui s'activaient pour éteindre le feu. Le tavernier savait très bien que c'était elle qui avait mis le feu à sa cave, et s'il la retrouvait, elle ne serait pas pus en sécurité qu'en compagnie du capitaine Astarloa.

Sa main gauche serrée sur son bras invalide, elle essaya de se faire discrète et de gagner le Joli Rouge sans se faire prendre. Alors qu'elle courait dans l'ombre de la nuit, sur le port, elle entendit une voix crier : "Tout le monde sur le pont, on appareille sur-le-champ !"

C'était la voix d'Alucard. Quelle ironie ! Seulement deux navires à quai séparaient l'Aïcha du Joli Rouge. Elle ne pouvait décemment pas enlever Alucard sur son propre navire, et certainement pas seule. La bataille aurait lieu sur l'eau. Le Joli Rouge était rapide, fendait l'eau plus vite que n'importe quel navire, il n'y aurait qu'à filer l'Aïcha. Ce serait un jeu d'enfant, et elle ne serait plus seule. Les 300 hommes de son navire sauraient porter son bras invalide à sa place et tuer Astarloa ! Ou mieux, le faire prisonnier et l'envoyer aux fers avec Alucard ! Aha !

Soudain, la voix de sa raison la somma de gagner le Joli Rouge immédiatement. Si Alucard donnait les ordres, c'était qu'Astarloa n'était pas sur son navire, et devait le suivre de près. S'il la trouvait ici, elle était morte. Ou pire, faite prisonnière...

Khenti gagna Le Joli Rouge et ordonna d'appareiller en silence, toutes lumières éteintes, mais le plus vite possible. Avec un peu de chance, ils sortiraient du port avant l'Aïcha et pourraient le prendre en filature en toute discrétion... et l'attaquer avant le petit matin, au moment où les hommes sont le moins éveillés.

Elle utiliserait l'une de ses fameuses tactites d'abordages - auxquelles personne n'avait survécu pour les dévoiler - car elle connaissait bien certaines astuces mortelles de l'Aïcha et ne comptait pas se laisser faire.

Karim avait expédié son second en avant garde avec la promesse de le rejoindre très vite, et tandis qu'Alucard filait jusqu'au navire, il passa la fenêtre et fit le tour de la taverne en courant. Il savait que Narish avait dû passer par un souterrain quelconque, mais qui ne pouvait que déboucher à quai, là où on déchargeait le rhum et le faisait rouler jusque dans la cave de l'aubergiste. Tout en courant Karim garottait son bras droit avec un lambeau de chemise, afin d'empêcher son sang de couler trop abondamment, et ajusta son second pistolet dans sa main gauche. Oh s'il pouvait rattraper Khenti, la viser, tirer... Et la laisser crever là, juste devant son navire ! Karim n'était vraiment cruel que lorsqu'on le poussait dans ses derniers retranchements... Et il fallait bien avouer que là, l'Egyptienne avait battu un record !

Débouchant de l'autre côté du bâtiment presque en même temps que son second, il l'entendit crier ses ordres, vifs et rapides, et songea qu'il avait plutôt intérêt à faire vite, s'il ne voulait pas que ses hommes appareillent sans lui.

Il sauta par dessus les fourrés, et courru jusqu'à la fameuse porte. Il poussa une imprécation furieuse lorsqu'il constata qu'elle était déjà ouverte, et que la fumée de l'incendie s'échappait du souterrain en belles volutes grises... Il était arrivé trop tard ! La démone avait eu le temps de s'enfuir. Il courrut jusqu'aux quais et fit un mouvement pour se mettre à sa recherche, mais un éclair de lucidité traversa son esprit embrumé par la douleur et la rage : si elle n'avait pas encore regagné son bord, elle était du moins sur le point de le faire, et n'aurait qu'à crier un ordre à ses hommes pour qu'ils l'abattent comme un chien.

"On se retrouvera, Narish !" Pensa-t-il, avant de faire demi tour et de courir le long de la jetée pour rejoindre l'Aïcha. Elle avait déjà levé l'ancre, et s'apprêtait à engager la manoeuvre arrière, pour quitter le port. Karim siffla entre ses doigts, trop épuisé pour crier, et utilisa ses dernière forces pour sauter en avant et saisir l'échelle de corde qu'on avait pas encore remontée.
Il s'y cramponna de toutes ses forces, des deux mains, essayant d'ignorer la brûlure de son propre sang coulant à flot le long de son bras, de sa hanche, de sa jambe... C'était à ses hommes de hisser leur capitaine à bord à présent, lui avait fait ce qu'il pouvait.

Partir, quitter l'île, et foncer toutes voiles dehors jusqu'à l'archipel le plus proche, où il leur serait plus facile de semer Le Joli Rouge... car à n'en pas douter, Narish allait se lancer à leur poursuite.

Alucard était véritablement inquiet. Karim n'arrivait pas! Et il ne voulait pas partir sans lui! Mais s'il tardait trop, il n'aurait pas le choix. Heureusement, un sifflement se fit entendre, attirant l'attention du second. Le capitaine! Abandonnant la barre, il donna des ordres pour qu'on mette la manoeuvre en suspension et qu'on s'en occupe. Lui, il se précipita du côté de l'échelle de corde qu'il avait laissée à dessein, hissant l'homme qui ne pouvait visiblement pas monter lui-même. Avec l'aide d'un autre matelot, il aida Karim à se redresser, de façon à ce qu'il puisse le porter.

"Ca va aller, j'ai donné des ordres, on file au premier archipel venu. Des hommes sont chargés de surveiller qu'on est pas suivis. Ne vous tracassez pas, je vais m'occuper de vous..."

Alucard s'était dirigé vers la cabine du capitaine, allant délicatement aller le déposer sur le matelas. Farfouillant dans les tiroirs, il trouva tout ce qu'il fallait pour le soigner. Mais tout d'abord, il lui fit boire une grande rasade de rhum, pour tenter de lui faire oublier un peu la douleur.

"Je ne suis pas médecin, mais je peux vous prodiguer les soins de premier secours. Allez, courage, ça devrait aller vite. Mais il va falloir serrer les dents, vous pensez tenir le coup?"

Le Joli Rouge avait appareillé depuis longtemps et passé le cap marquant la sortie du port depuis un moment quand enfin l'Aïcha apparut. La mer était calme et Khenti avait donné ses ordres : précéder le navire, aller au même rythme que lui ou alors le suivre à tribord, ne pas rester derrière lui. Astarloa surveillerait sûrement ses arrières et pas l'onde qu'il s'apprêtait à traverser. Pour lui, le danger était derrière, pas devant.

Pourtant, Le Joli Rouge anticipait les mouvement du navire et, grâce à sa vitesse, si l'Aïcha prenait une direction différente, le navire de Khenti reprenait très vite sa place et s'adaptait rapidement à l'allure du navire pris en filature.

Dans sa cabine, Khenti se faisait soigner par le chirurgien et maudissait de tous les noms le capitaine Astarloa et son équipage, et surtout son puant de second. Quel cafard, celui-là ! A travers les brumes de l'alcool, elle percevait le picotement que lui procurait sa blessure tandis que le chirurgien la refermait. Il avait les mains douces et le doigt sûr. Ses gestes étaient précis, calculés. Cet homme était un véritable atout - en plus d'être un véritable amant... - et si Astarloa possédait un mauvais chirurgien de bord, il se rétablirait moins vite que Khenti.

Quelques repas, et cette dernière serait en bien meilleure forme, prête au combat. Pour Astarloa, c'était plus compliqué : il y avait une balle à extraire, du plomb dans l'organisme, et beaucoup plus de risques d'infection. Elle l'imagina avec la gangrène et eut un sourire de sadisme pur. Quelle délice que cette vision de paradis !

Karim s'était laissé hisser à bord de l'Aïcha, et avait lancé des ordres secs et précis tandis qu'Alucard l'entraînait vers sa cabine. Il fallait qu'ils quittent le port, en silence et sans lumière, afin de semer Narish et ses hommes, qui devaient déjà être à l'affût. Eteindre les falots ne suffiraient pas à tromper les yeux de chat de cette Egyptienne de malheur, et il leur faudrait sans doute user de patience et de rapidité pour la semer. Oh, si seulement il avait pu se tenir sur le pont, avec ses hommes, et diriger lui même les opérations ! Il connaissait les archipels et les récifs du coin comme sa poche, et n'aurait eu aucun mal à tromper ses ennemis... Non, aucun mal, mais...

Il laissa sa tête retomber sur l'oreiller, percevant les paroles d'Alucard comme à travers une épaisseur de coton, et se contenta de hocher la tête, peu soucieux de ce que le jeune homme allait lui faire subir.

Il fit un geste vague en direction de la table de chevet, et y attrapa à tatons le flacon de rhum qu'il gardait là en réserve. Il en but une gorgée, alors qu'au même moment, Alucard lui introduisait une sonde dans le bras, afin d'extraire la balle. L'effet de l'alcool conjugué à la douleur de l'opération fut foudroyant : il ouvrit les yeux, totalement réveillé, et poussa un cri :

"Bon Dieu de Putain de Chiennasse ! Je lui en foutrais, des trous de balle, je lui en foutrais !"

Puis, épuisé, il retomba sur l'oreiller en avalant une nouvelle gorgée.

"Merci, garçon..." Souffla-t-il, les yeux fixés au plafond, tandis qu'Alucard arrachait le plomb d'entre les chairs, et le jetait au loin.

Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait tirer dessus, ni qu'il subissait ce genre d'opération, aussi savait-il exactement ce qu'il lui fallait : il indiqua à Alucard comment s'y prendre pour nettoyer la plaie et panser les chairs, en attendant de le recoudre. Quand à l'anesthésie ou au soulagement, il ne connaissait pas de meilleur remède que le rhum.

Un quart d'heure plus tard, le flacon était vide, et la blessure était pansée. Karim n'avait qu'une seule envie : dormir, et envoyer le monde entier au diable... Mais il se devait à son navire, à ses hommes, et à Alucard.

"Va leur dire de naviguer en arabesques, qu'ils progressent en zig-zag, par demi-cerles d'un demi mile, en ne paraissant avoir d'autre cap que l'horizon... Mais qu'en faisant cela, ils se dirigent vers la Passe Maudite... Là, on pourra semer ces chacals..."

Il avait tenté de se redresser, mais avait eu le tort de s'appuyer sur son bras blessé. La douleur fut si forte qu'il tomba tout d'une pièce.

"Fais ce que je t'ai dit, va les prévenir, tu t'inquiéteras après, bon sang !" Siffla-t-il à l'adresse de son second, qui se penchait déjà vers lui.

Il le regarda quitter la cabine en courant, et s'évanouit avant d'avoir pu esquisser autre chose qu'une ombre de sourire...

Alucard hocha la tête, se levant pour aller prévenir l'équipage des ordres du capitaine. Pourtant, une question le retint. Et alors qu'il allait la poser, Karim voulut se redresser et chuta aussitôt, le faisant s'inquiéter à nouveau. Mais là, il se fit méchamment rabrouer, lui arrachant une moue mécontente. La prochaine fois, il le laisserait crever! Pourtant, il quitta la cabine en courant pour transmettre les ordres, mais également en donner un autre : qu'on surveille aussi la mer qui se profilait devant eux. Khenti avait, parmi la Compagnie des Indes, la réputation d'aimer passer devant les navires pour les surprendre.

Puis, une fois toutes les directives données, il retourna à la cabine pour s'assurer que le capitaine allait bien. Seulement, il eut la peur de sa vie en le trouvant évanoui. Mauvais, ça. Très mauvais. Inquiet, Alucard vérifia que Karim n'avait pas de fièvre. Et, Dieu soit loué, il n'en avait pas. Par contre, il lui enleva son garrot, malgré les quelques saignements que cela provoquerait. Le plomb avait eut le temps de s'infiltrer dans son sang, mieux valait le laisser circuler pour ne pas empoisonner le capitaine.
Profitant de son inconscience, il alla chercher de quoi le recoudre, ce qu'il fit consciencieusement. Ca aussi, il avait appris. Durant toute l'opération, qui avait duré une petite dizaine de minutes, il n'avait cessé de désinfecter la plaie, de peur d'une gangrène. En attendant que l'homme se réveille, il alla chercher de l'eau, comptant bien lui en faire boire le plus possible une fois qu'il serait réveillé. Mais malgré lui, son inquiétude transparaissait sur son visage sans qu'il ne puisse rien faire pour se calmer.

"Capitaine? Vous m'entendez?"

Alors que Khenti reprenait ses forces. Le cuisinier lui avait amené de la vinde boucanée et quelques fruits ainsi que de l'eau, le quartier maître l'informa de la situation : l'Aïcha tournait zig et en zag, en demi-cercles, larges d'un demi-mile. La tactique aurait été efficace si le Joli Roue s'était trouvé derrière eux. Malheureusement pour Astarloa, comme Khenti se trouvait devant, c'était très facile de contourner cette obstacle : il suffisait de se mettre à auteur du navire et de filer droit et lentement, sans jamais perdre de vue l'autre. La manoeuvre était aussi simple qu'efficace.

Khenti ordonna qu'on lui apporte ses cartes et les étales sur la table, près de son repas. A moitié nue, la poitrine seulement ceint de son sous-vêtement fait de bandes de tissus déchiré et pas gênée pour un sou, elle demanda au pilote en second de tracer pour elle d'entrer les coordonées du déplacement de l'Aïcha sur la carte et de tracer une ligne bien droite.

La ligne croisa la route de la Passe Maudite. Astarloa comptait certainement la semer là. Si sur la carte ce n'était qu'un nom, en réalité, la Passe Maudite était beaucoup plus. Un endroit redouté par meilleurs marins. A côté se trouvait le cimetière marin, c'était dire...

Ils allaient affronter une belle tempête, et Khenti espérait ne pas perdre de vue sa proie. Comme un fauve, elle se cachait, attendait, et ne fermait pas un seul oeil. En éveil, prête à sauter, à aborder, à saborder, à couler l'Aïcha, et à tuer son capitaine...

La passe maudite