A cause des apparences... [PV Karim]

A présent, cela faisait un peu plus d'une semaine qu'Alucard avait plongé pour sauver un membre de l'équipage. Malgré les précautions qu'il avait prises, il avait bel et bien finit par tomber malade, comme son capitaine l'avait craint. Bon, on ne pouvait pas encore dire qu'il avait une fièvre de cheval, mais il ne devait pas en être très loin. Mais malgré cela, il continuait à faire comme si de rien n'était. Plus pâle que jamais, avec des vertiges constants, il s'affaiblissait de jour en jour, sans jamais rien faire pour se soigner. Personne ne devait savoir qu'il était malade.

Cependant, au bout d'un moment à tenir le coup tant bien que mal, son corps lui fit savoir qu'il était temps qu'il se soigne, par le biais d'un malaise. Devant la presque totalité de l'équipage. Appuyé sur ses bras tremblants pour ne pas se retrouver allongé au sol, il tentait de calmer sa fièvre, ce qui n'eut pas d'autre résultat que de la faire redoubler d'intensité. Alors, ses bras finirent par céder eux aussi, laissant sa tête heurter le sol avec un bruit mat, le faisant plonger dans le confort de l'inconscience.

Karim était sur la dunette, occupé à faire le point sur leur position, lorsqu'un murmure s'éleva depuis le pont. Au début, il n'y prêta guère d'attention, mais lorsqu'un des deux petits mousses cria "Messire Alucard se meurt !"

L'oeil de Karim quitta le sextant, et se porta sur l'agitation qui régnait en bas. Les matelots, pour certains, avaient délaissé leur ouvrage, et entouraient une silhouette allongée sur le sol. Karim jura, lâcha ses instruments, et courrut voir ce qui se passait.

"Per la Putana, comme disait Giovanni Lupino ! Alucard, qu'as-tu encore fait, espèce de macaque ?" Gronda-t-il d'une voix rauque, tout en prenant son second à bras-le corps, et en lui soulevant doucement les paupières. Ouf, il n'était qu'évanoui ! Soulagé, Karim ordonna qu'on aille lui chercher de l'eau fraîche et un peu de rhum, pour remplumer l'inconscient qui lui servait de second !

Karim grognait beaucoup, mais c'était pour cacher son inquiétude : Alucard, tout évanoui qu'il était, avaient les joues rouges et tremblait comme une feuille.

"Il est brûlant de fièvre..." Murmura Karim, en soulevant le jeune homme, et en le portant sur un des matelas qu'on jetait ordinairement sur le pont pour permettre aux officiers de quart de dormir un peu entre leurs tours de garde.

"Allez, réveille-toi, gamin... " Souffla-t-il en lui passant un linge humide sur le front et en lui versant un filet d'eau coupé d'alcool entre les lèvres.

Alucard entrouvrit les yeux, manquant de s'étouffer avec un infâme mélange d'eau et d'alcool qu'on avait dut vouloir lui faire avaler. Difficilement, il tenta de se rappeler ce qu'il s'était passé. Il y parvint vaguement, son mal de tête n'aidant pas à la réflexion.

"Capitaine...? Je... Je suis désolé..."

Alucard aurait voulut continuer mais en fut incapable, un gémissement de douleur lui échappant sous une pointe de douleur. Ce qu'il avait froid... Un frisson le parcouru d'ailleurs, lui faisant brièvement fermer les yeux.

"Je suis vraiment... désolé... Je pensais pouvoir tenir le coup... Ca n'aurait dut être qu'un rhume... J'aurais pas dû avoir de fièvre..."

Le jeune homme peinait à parler, tremblant comme une feuille. Il ne pouvait pas être aussi malade! C'était impossible. En vingt ans, il n'était presque jamais tombé malade! Se redressant difficilement sur ses coudes, il voulut se relever, sans y parvenir. Il était encore trop faible.

Karim inspira longuement avant de répondre à Alucard ( sans se rendre compte qu'il pressait toujours la main du garçon ), tant pour se calmer que pour trouver quoi dire. Celui là allait le rendre chèvre !

"Tu pensais, tu pensais... Résultat, maintenant, tu es bon pour dormir et manger de la soupe pendant deux jours ! Au reste, c'est bien fait pour toi, cela t'apprendra à faire passer ton devoir avant toute chose ! La survie du navire, c'est aussi la bonne santé de ses matelots ! En t'oublian, c'est ton rôle que tu as oublié !"

Tout en grognant, Karim avait défait les aiguillettes du pourpoint d'Alucard, et l'avait frictionné, pour ne pas qu'il se crispe et convulse. Puis il renvoya les hommes à leur poste, ne gardant près de lui que Juan, le petit mousse, et le plaça près d'Alucard en lui recommandant de veiller sur lui etde le faire boire régulièrement.

"Le vent va te faire du bien, tu vas rester ici un petit peu, et après cela nous te mettrons au lit, maître Alucard... Et rappelle toi ce que je t'ai dit : soupe !"

Karim passa furtivement la main dans les cheveux blancs de son second, tapota l'épaule de Juan, et remonta vers la dunette, en attendant que son second et ami se remette un peu.

Alucard eut un violent frisson quand son capitaine ouvrit son pourpoint, le frigorifiant encore un peu plus. Pourtant, il ne réagit pas plus, sachant bien qu'il valait mieux qu'il ne s'agite pas trop.

"Oui, oui..."

Soupira le jeune homme, fermant les yeux. A voix basse, il s'excusa auprès du petit Juan, se redressant pour s'asseoir. Il ne voulait pas dormir, c'était hors de question. Il n'était plus un gamin! Et puis ses maux de tête, et sa fièvre, ça finirait bien par passer! Ca devait passer! Difficilement, il se leva, fermant un instant les yeux sous un léger vertige. Allez, on inspire, et on attend que tout s'arrête de tanguer. Lentement, il rejoignit Karim, le mousse ne le quittant pas d'une semelle.

"Il est hors de question que je reste allongé plus de dix minutes..."

Souffla Alucard, prit d'un nouveau vertige.

Karim avait deviné plus qu'il n'avait vu Alucard se lever et s'écrouler juste derrière lui.

"Verge d'Âne et Tripes du Pape ! Je vais vraiment finir par t'envoyer à la planche, marin d'eau douce ! Ou te mettre aux fers ! Là au moins tu ne me casseras plus les oreilles avec tes caprices de marmot mal léché !" Explosa Karim en attrapant son second aux aisselles, et en l'asseyant près du bastingage. Il lui mouilla les tempes, lui frappa sans douceur dans les mains et sur les joues, avant de le relever et de l'emmener jusqu'au logis des officiers.

"Regardez bien celui là, matelots ! Grognait-il tout en traînant le poids plume, que je voie un seul d'entre vous jouer à ce petit jeu là avec sa santé, et je l'expédie moi même à la Compagnie des Indes, empaqueté et dûement ficelé !"

Il fit signe à Juan de le suivre, ordonna au pilote et au maître d'équipage de le remplacer un instant à la cartographie et à la barre, et alla déposer Alucard sur son lit.

Alucard se laissa déposer sur le lit avec un grognement mécontent, cherchant à se redresser, sans succès. Il ne pouvait pas rester allongé à ne rien faire! Et il ne voulait pas non plus! Ca allait passer, il devait retourner sur le pont!

"Et moi? Pourquoi tu me livres pas? Je vaux un beau paquet, pourtant..."

Quant il était malade, Alucard se faisait provocateur, comme pour essayer de compenser sa faiblesse physique.

"C'est trois fois rien... Aide-moi à me lever, ça va aller... Dans dix minutes, ça sera passé... Même dans mon état, mon père m'aurait mit sur le pont... Et j'ai jamais eut de problèmes... Alors aide moi a me lever, bon sang!"

Le jeune homme avait réussit à se redresser sur ses coudes, et foudroyait son capitaine du regard. Il ne l'aliterait pas comme un mourant, ça non! Jamais!

Karim n'était déjà pas proprement d'humeur, inquiet et contrarié qu'il était par la faiblesse et la bêtise de son second, aussi ne laissa-t-il pas passer cette nouvelle folie...

Il fit trois pas vers son second, l'attrapa au colet, le plaqua sur l'oreiller, et lui dit d'une voix calme, mais froide :

"Tu le fais exprès où c'est la fièvre ? Tu te prends pour un héros à vouloir dépasser tes limites et me montrer que ton gentil papa t'as elevé à la dure, ou tu délires et tu ne sais plus ce que tu dis ? Je préfèrerais encore que ce soit la première solution, ça prouverait que tu n'es pas si mal en point que ça !"

Il lui ôta son pourpoint et sa chemise trempés de sueur ( même s'il grelottait ), demanda à Juan de lui en passer une autre, et l'allongea de force dans le lit.

"Manque de chance, les héros, je connais, et toi présentement, tu n'en es pas un. Alors si tu veux avoir une chance de le devenir un jour, tu restes ici, tu dors, et tu guéris. Encore un mouvement pour sortir de ce lit et je jure sur le cul de la Sainte Vierge que je t'assomme. Au moins, je serais sûr que tu resteras tranquille."

Alucard avait laissé un gémissement de douleur lui échapper quand son capitaine l'avait plaqué contre l'oreiller. Il lui avait fait mal! Détournant les yeux sous les reproches de Karim, il murmura faiblement qu'il était désolé, rougissant de honte. Mais quand son capitaine le dénuda à moitié, il tenta de l'en empêcher, sans pour autant vraiment opposer de résistance.

"J'ai froid..."

Souffla le jeune homme, parcouru d'un violent frisson alors que le petit Juan lui remettait une chemise. Il détestait être malade! Et encore plus quand il l'était vraiment. Par contre, ce qu'il aimait encore moins, c'était que Juan assiste à toute la scène. Il se rendait tout à fait ridicule.

Alucard avait horreur qu'on le voie en position de faiblesse. D'ailleurs, c'était pour cela qu'il était rouge comme une pivoine.

-C'est entièrement ta faute si tu as froid, grogna Karim, en lui remontant tout de même la couverture jusqu'aux épaules, et en le frictionnant doucement, pour le réchauffer.

Il demanda à Juan de lui apporter de l'eau et un linge propre, avant de Reposer Alucard bien couvert sur le lit, et d'aller chercher le médecin du bord. Ledit médecin lui prescrivit du repos, du calme, et un mélange de plantes orientales bouillies que le malade devrait absorber en cas de migraine. Karim remercia, et retourna aux logis des officiers.

Juan était occupé à passer le linge humide sur le front du second, et Karim hocha la tête. Il posa la tisane sur le chevet, et fit signe au mousse d'aller continuer son travail, tout en lui ordonnant de transmettre ses ordres pour qu'on continue sur le même cap et qu'on continue son travail de cartographie.

Puis, il se tourna vers la forme roulée en boule sous les draps.

-Te voilà bien, petit macaque.

Dès que Juan le quitta, Alucard se tourna sur le côté pour se rouler en boule sous les draps qu'il avait remontés jusqu'à sa joue. Son capitaine le traita de macaque, lui faisant baisser les yeux.

"Je ne suis pas un macaque... Juste un idiot de la Compagnie des Indes..."

Le jeune homme n'avait pas osé trop élever la voix, n'osant pas non plus lever les yeux vers son capitaine. Avec un léger soupir attristé, il se mordit la lèvre inférieure, cherchant à réprimer les larmes qui faisaient trembler ses épaules.

"Ce sont les mourants, que l'on alite! Et je ne vais pas mourir! Je ne peux pas, je ne veux pas! Je le tuerais d'abord! Et après, on verra!"

Alucard enfouit son visage dans l'oreiller, cherchant à cacher ses larmes. Il ne voulait pas qu'il le voie pleurer. Il ne voulait pas mourir. Les alités, avec son père, ils mourraient tous. Ca ne serait pas différent ici.

-Idiot, ça oui ! Mais rassures-toi, tu ne l'es que lorsque tu décides de jouer les Saint Georges.

Karim s'était approché, et s'était assis sur le rebord du lit, posant une main sur l'épaule d4Alucard, toujours roulé en boule sous les couvertures. Il lui faisait de la peine, ce gamin, mais il aurait voulu qu'il grandisse un peu...

-Tu n'es pas mourant, tu es juste malade. C'est un lit, pas un cercueil ! C'est fait pour guérir, pas pour tuer. Quand à tuer ton père -car je devine que c'est de lui que tu parles-, on en reparlera quand tu cesseras de délirer...

Tout en parlant, il avait posé son autre main sur les épaules du garçon, et s'était mis à le masser doucement. Sa colère était tombée depuis longtemps, et il ne ressentait plus qu'un profond scepticisme, mêlé d'affection, car il ne savait toujours pas s'il devait gronder le gamin ou le consoler.

Progressivement, les pleurs et les tremblements d'Alucard se calmaient sous les mains de son capitaine qui massaient ses épaules. Pourtant, il continuait de garder la tête dans l'oreiller, peu désireux de montrer ses joues rougies par les larmes. Mais malgré tout, il finit par se tourner un peu pour regarder Karim, la respiration encore un peu erratique.

"Un lit ou un cercueil, c'est la même chose... Et je ne délire pas. D'accord, j'ai mal à la tête comme si j'avais reçu un coup de marteau, d'accord, je fais de la fièvre, mais je sais encore ce que je dis."

Ramenant les couvertures sur lui, Alucard se redressa tant bien que mal pour s'asseoir, ne supportant pas de rester allonger. Qu'est-ce que son capitaine pouvait bien craindre pour lui? Ca ne pouvait pas être pire! Il ne pourrait qu'aller mieux! C'était juste une question de temps!

"Je voudrais retourner sur le pont..."

Alucard avait baissé les yeux, murmurant sa phrase d'une voix d'enfant pris en faute.

-La grosse différence entre un lit et un cercueil, petit macaque, c'est que dans le lit tu es vivant ( et à la rigueur, tu crées toi-même la vie ), et dans le cercueil tu es mort.

Karim eut un imperceptible froncement de sourcil ( inquiétude ou contrariété ? ) lorsqu'il vit les joues rougies d'Alucard, mais décida de faire comme si de rien n'était. Depuis l'incident de la cale, il préférait éviter de brusquer Alucard, qui au fond tenait plus du gamin fragile qu'autre chose.
Lorsqu'il se redressa sur son séant et demanda à sortir, Karim prit sur lui pour ne pas pousser l'énorme soupir exaspéré qui grondait dans sa poitrine. Doucement, mais fermement, il le força à se rallonger d'une main, et lui posa l'autre sur les lèvres.

-Tais-toi. Ne bouge plus. Voici tes deux consignes jusqu'à nouvel ordre, et si tu ne les respecte pas, je me verrais dans l'obligation de sévir. Je t'ai déjà expliqué sur tous les tons pourquoi tu devais rester au lit, apparemment tu ne m'as pas écouté ( ou alors tu le fais exprès ). Tant pis pour toi, j'en ai assez de te voir sans arrêt réagir comme un enfant. Alors tu serres les fesses et tu la boucles, sinon je te mets aux fers.

Alucard fit la moue, mais se décida enfin à obéir. Parce que les fers, il avait déjà connu, et qu'il n'avait aucune envie d'y retourner. Un moment, il garda les yeux fermés, avant de sourire à son capitaine.

"Et demain? Je vais passer combien de temps comme ça?"

Il n'avait pas pu s'empêcher de poser cette question. Parce que ça le tracassait tout de même... Se rendant compte qu'il avait déjà désobéi, il se mordilla la lèvre inférieure, quelque peu inquiet. Restait à espérer que Karim ne soie pas sérieux... Parce que sinon, il était vraiment mal barré! Tout en restant allongé, il se redressa un peu sur ses coudes pour regarder son capitaine. Par contre, Alucard espérait bien qu'il pourrait se lever dès demain. Rester immobile durant plusieurs jours, quel enfer!

Karim, la main toujours posée sur l'épaule d'Alucard pour l'obliger à rester allongé, lui fit sa moue de jésuite habituelle : sourcil haussé, sourire en coin, et ton à la fois railleur et sérieux.

"Cela dépendra de ta capacité de récupération. Dors cette nuit et réveille toi remis demain matin, je te laisse sortir. Fais le macaque et entretiens ta fièvre, je t'attache au matelas. Tu vois, le marché est simple."

Le capitaine s'assit tout à fait sur le bord du lit, et sa main se déplaça légèrement jusqu'au visage de son second, pour replacer une mèche blanche derrière son oreille. Comme ça, plus pâle que ses draps, le front perlé de sueur et les yeux brouillés, il paraissait plus jeune que son âge... Le regard de Karim se fit plus grave, sans qu'il cesse pour autant de sourire :

"Le marché est simple, mais je gage que tu n'y trouveras pas ton compte. Tu raisonnes comme un enfant avide de vivre : levé tôt pour boire le soleil, couché tard pour jouer avec la lune. A toujours vouloir rester debout, tu vas finir par trébucher pour de bon, gamin."

Alucard fit légèrement la moue quand le regard de son capitaine se fit plus grave, ce qui annonçait une mauvaise nouvelle. Là, il aurait tout donné pour s'endormir sur-le-champ. Mais, manque de chance, il était loin d'être fatigué. Au fur et à mesure que Karim parlait, le jeune homme se trouvait être de plus en plus mal à l'aise, commençant à peine à comprendre à quel point il jouait avec sa santé.

"Je n'y ai jamais pensé... On m'y a encouragé, aussi... Je suis désolé... Je ferais plus attention... Et si j'oublie, rappelez-le moi de la manière la plus désagréable qui soit afin que je n'oublie plus..."

Alucard esquissa un léger sourire, restant sagement allongé. En temps normal, il se serait redressé, mais là, il n'avait pas envie. Tout d'abord parce que ses membres avaient commencé à s'engourdir, mais surtout parce qu'il n'avait pas envie d'essayer de désobéir à son capitaine.

"Et puisque vous semblez tellement y tenir, je vais dormir. Je vous le promet. Peut-être pas en continu, mais je resterais allongé. Même si j'aurais du mal à tenir en place... Enfin... Pour vous, je veux bien faire un effort..."

"Compte sur moi pour le rappel désagréable. Quand à rester allongé, j'y compte bien, gamin."

Karim se pencha un peu plus vers le jeune homme aux cheveux d'or blanc, et le regarda droit dans les yeux. Dans les siens, il n'y avait plus ni froideur, ni sévérité : l'habitude naturelle avait chassé la colère. Karim était redevenu un vieux loup de mer au regard d'aigle, mélange d'ironie et de tendresse. Un océan de contrastes !

"Et si tu dois faire un effort, ce n'est pas pour moi mais pour toi. Crois-tu donc que j'ai les moyens de te perdre, sale gosse ?"

"Bah, quand même... Je sert à rien ici, moi... Juste à vous mettre de mauvaise humeur... Et je doute que ça soit indispensable..."

Certes, Alucard exagérait peut-être un peu, mais c'était son point de vue. Parce qu'à part avoir repêché un imbécile qui ne savait pas assez bien nager et avoir rangé les cordes qui traînaient un peu partout sur le navire, il n'avait strictement rien fait sinon énerver son capitaine. En plus de l'inquiéter. Parce que pour ça aussi, il était doué! Il n'y avait qu'à voir son malaise. D'ailleurs, tout l'équipage avait eut peur. Mais ce qui le confortait le plus dans son idée, c'était qu'un des deux petits mousse (il n'aurait su dire lequel) avait crié qu'il se mourrait. Allez savoir pourquoi, cela lui donnait l'impression d'être inutile.

"Je suis jamais qu'un sale gosse dressé pour obéir aux ordres... Des comme moi, on en trouve à la pelle... Et des plus raisonnables, en plus... Je serais pas une grande perte..."

Alucard ne craignait même plus la réaction de son capitaine, sachant très bien que soit il ne laisserait pas passer de telles paroles et lui flanquerait une bonne gifle avant de le sermonner, soit qu'il se contenterait de soupirer et de s'en aller en marmonnant qu'il était un cas désespéré.

Ah pour cela oui, dans le genre cas désespéré, Alucard se posait là ! Karim poussa un profond soupir, à la fois agacé et vaguement découragé. La fièvre ne lui réussissait vraiment pas au cerveau, à celui là !

"Cesse donc de dire des bêtises, de te rabaisser sans arrêt ! Quand tu ne t'exposes pas volontairement à la maladie, tu te couvres de cendres ! A croire que tu aimes souffrir. Quel est ton problème exactement ? Tu manques de confiance en toi, ou tu veux qu'on te rassures sans arrêt ? Tu es un grand garçon, tu as des capacités et du caractère, et bordel de confit de gésier, tu es mon second ! Quand à être dressé à obéir aux ordres... Ma foi, depuis que tu es ici, obéir n'a pas franchement été ta priorité. Donc non, tu n'es pas dressé, et tu ne le seras jamais. Et bon sang de bon soir, arrête de me regarder avec ces yeux là, je vais me mettre à pleurer !"

Tandis qu'il parlait, Karim avait posé sa main sur la poitrine d'Alucard, et la lui tapotait du doigt, un peu plus fermement à chaque exclamative.

Ah, ben c'était le sermon et le soupir. Il aurait dut s'en douter. Toujours était-il qu'il le supportait moins bien que ce qu'il aurait cru. Rougissant comme un gamin prit en faute, il détourna les yeux, se mordillant la lèvre sous le doigt accusateur qui lui tapotait la poitrine.

"Je veux pas que vous pleuriez..."

Souffla Alucard, se redressant brièvement pour enlacer sopn capitaine et l'obliger à s'abaisser suffisemment pour qu'il puisse l'enlacer en restant allongé. La tête appuiée contre la sienne, il lui caressait les cheveux, les yeux fermés. Il aurait voulu lui dire qu'il était désolé, pour tout un tas de choses, mais comment Karim réagirait-il face à une pareille série d'excuses? Sans doute pas très bien... Alors le jeune homme gardait le silence, se contentant d'attendre qu'une idée plus brillante ne lui vienne à l'esprit.

Karim s'était laisser enlacer par le jeune homme, et n'avait pas fait mine de résister lorsque celui ci l'avait plié contre lui. Il se contenta de rouler des yeux en souriant, et de se laisser faire, jouant légèrement avec la chemise d'Alucard.

"Je ne pleure pas, gamin, répondit-il simplement d'une voix calme, je veux simplement éviter que ce soit toi qui t'y mettes. Parce que franchement il n'y a rien qui me terrifie plus que de voir chialer quelqu'un... Toi, je veux juste que tu guérisses, et que tu mettes dans le crâne qu'être adulte, ce n'est pas ça."

Et tout en parlant, il avait posé sa main sur celle de son second, et l'air de rien, vérifiait doucement si la fièvre se calmait ou non...

Alucard sourit en sentant son capitaine poser une main sur son front et l'autre sur sa main. Les yeux mi-clos, il laissa échapper un léger soupir, sa tête recommençant à lui faire mal. Mais, curieusement, la main de Karim apaisait un peu la sensation que son coeur battait dans son front.

"Mais c'est quoi, être adulte?"

Souffla le jeune homme, profitant de la proximité de son capitaine. Il avait beau être malade, ce qu'il pouvait être bien, comme ça! Appuyant son front contre la main qui y reposait toujours, il sourit, fermant tout à fait les yeux. Il aurait bien voulu rester comme ça indéfiniment, tiens. Même s'il savait bien que ça ne serait pas possible. Et puis, en plus, Karim devait le détester. D'ailleurs, il aurait bien voulu lui poser la question, histoire de vérifier.

"Etre adulte ? C'est regarder en avant, mon gars, et c'est surtout savoir se gérer te gérer toi-même, pour toi-même, et vis à vis de toi-même. Ne me demande pas d'autres explications, elles ne voudraient rien dire, pas plus que celle là. Tu le découvriras bien tout seul un jour, va..."

Karim aussi se sentait bien, mais gardait malheureusement la conscience du temps et des choses. L'heure tournait, ses hommes l'attendaient... Mais le gamin semblait plus calme, quand il était là, et la fièvre semblait s'apaiser un peu... Que faire ?

"Alucard ? Te sens-tu capable de guérir en adulte sans moi, ou préfères-tu que je reste ici ?"

Alucard fit la moue, ne sachant trop que répondre. A vrai dire, il aurait préféré ne pas répondre du tout. Mais il n'avait pas le choix! Seulement, il se retrouvait face à un dilemne qui, de toute façon, ferait qu'il se sente mal vis-à-vis de son capitaine. Parce qu'il pouvait guérir sans lui, mais qu'il n'en avait pas envie...

"J'ai pas envie que vous partiez, mais... Je m'en sens capable..."

Finalement, le jeune homme avait préféré dire la vérité. Comme ça, il n'avait pas a se sentir coupable d'avoir mentit à Karim.

"On fait comme vous voulez. Mais, pour l'équipage, il vaudrait mieux que vous me laissiez..."

Alucard avait dit cela comme à regrets, tout en sachant que c'était la meilleure solution pour tout le monde, sauf pour lui. Mais tant pis. Il faudrait qu'il apprenne à s'y faire.